La planète-camp, le dernier ouvrage de Joseph Rouzel
La planète-camp
Pour reprendre quelques lignes de Monique Lauret qui n’a pu être là, ligne qu’on ne peut pas ne pas rejoindre, parce qu’elles ne peuvent mieux aider à synthétiser et présenter le livre.
Ce livre de Joseph Rouzel est adressé à tous les « assoiffés de parole vraie », celle qui relance le désir et réorganise la pensée. Des ouvertures par les espaces de rencontres, de lectures, de par ses compagnons de route. On ne peut tous les citer tant ils sont nombreux. Des traces écrites et déposées tel des petits cailloux semés la route du sujet. Un travail qui défend la psychanalyse et qui accueille le sujet de l’acte de parole. Un travail qui œuvre à son émancipation et non à son asservissement, dans une dimension inventive et poétique. La pensée vivante de grands penseurs se déplace aussi entre les lignes, de Freud à Lacan en passant par Marx, Adorno, Morin, et quelques autres. Ce livre rejoint le travail des de nombreux penseurs résistants, adressé à tous ceux qui s’opposent à toute désincarnation des utopies. D’où l’importance de la rencontre, comme il l’affirme, dans le passage où le désir s’affirme et trouve son orientation. Né dans un Camp, dans un milieu qui n’y prédisposait pourtant pas, Joseph Rouzel témoigne dans son émouvant récit de la possibilité d’accomplir un très grand chemin en Humanité par un engagement collectif sans faille. Il laisse jaillir de l’ombre de la logique du Camp, quelques puits de lumière aujourd’hui nécessaires. Joseph Rouzel se fait éclaireur lucide, frère en humanité, batelier d’une transmission du vivant.
Le ton est donné.
Ces propos inspirés par Monique Lauret retraçant sa lecture du dernier ouvrage de Joseph Rouzel inspire la couleur de ce temps ensemble en séminaire.
Dans la préparation et la sollicitation de celui-ci il soulignait que nous avions peut-être quelques thèses communes à soulever. Au début de l’ouvrage cela ne m’est pas apparu avec évidence. Est-ce sans doute l’effet d’une résistance à la lecture tant la question des « Camps » impose une réalité difficile, une histoire lourde ; aussi quant à ses rapports à l’actualité du monde. Grave, ancrée dans l’histoire, inquiétante, anxiogène.
Toute la question, bien difficile, exigeante, que suppose de s’en mêler est-ce sans trop s’emmêler ; si je puis dire.
Et là, revient l’idée, venons-en un temps d’emblée : à l’actualité de la psychanalyse, l’actualité de comment le social travaille, et comment ça nous travaille.
Question vive, donc : A quand un changement, à quand un soulèvement plus général que celui qu’on vit et espère depuis longtemps à quelques-uns ?
Je m’autorise à y aller là, au passage, comme elles viennent, de quelques notes inscrites durant la lecture, toute récente d’ailleurs.
Et fallait-il ; de fait, re-situer la question de la psychanalyse dans son rapport au lien social plutôt qu’au social.
Une préoccupation pour la planète ; quand ?
La Planète ; Quand ?
Le « camp » chez Lacan, était un « Là-quand » grâce auquel il se disait : poème.
« Je suis poème » ; au sens, « je suis sujet de désir » !
Nous dire enfermés, nous permet-il de « sortir », en tout cas de « nous en sortir » ?
Lacan propose dans le Séminaire XX, avec une forme malentendue de pessimisme, - plutôt qu’heureux, pourrait-on dire amoureux, - à savoir, je cite : « le temps qu'il faut pour que ça se résolve enfin - c'est là ce qui nous pend au nez - démographiquement. »
Ce qui n’est pas-sans résonner avec le sous-titre : « Psychanalyse de l’extermination » ; et non sans évoquer « psychanalyse du trauma », « psychanalyse du social », en outre, un angle qui ré-ouvre notre réflexion commune et insondable : « psychanalyse et politique ».
Terrain, vivifiant, mais terrain glissant ; et autant de croisements de thèmes qui ne font pas tout le temps « évidence ». Nous, c’est plutôt : évider-le-sens. Au sens qu’on se préoccupe du discours analytique et de son exigence, à savoir que la psychanalyse « n’opère que du discours qui la conditionne ».
Mais ; toujours faut-il ne pas s’aliéner à un discours par un pseudo dévouement au savoir analytique. Nombre de groupes et d’associations s’y perdent, ou d’un point de vue du dit contemporain, ou d’Une psychanalyse d’entre-soi, en dehors de toute réalité de l’actualité du monde.
Ce qui nous intéressera est plutôt une « autre voie », sans doute celle que nous avons en commun avec notre ami Marie-Jean Sauret ; d’ailleurs encore présent à l’association il y a peu, mais surtout, invité au premier colloque de l’association en 2017, et pas pour un rien.
Quoiqu’il en soit, l’encre coule, la parole se répand, les groupes essaiment. La psychanalyse est vivante, et sa dite actualité ne peut que se saisir de l’actualité du sujet. Cela a toujours été le cas. La clinique est politique, la psychanalyse, aussi épistémologique, et surtout non idéologique. C’est ce que soutient ce livre, et Joseph l’avait déjà souligné autre part, justement : la psychanalyse est partout, le psychanalyse ailleurs, mais un ailleurs dans le monde parce qu’il y joue l’après-coup en acte de l’historicité de sa cure. Ce qui me semble que l’auteur soutiens là.
En sous-titre, l’« Extermination », ce n’est pas très réjouissant. Mais c’est toujours sur le lit de la catastrophe que le collectif se révèle, et se « relève » pour inventer. C’est sur le lit de la mort à venir que se fonde le vivant. Il serait bien embarrassant de se savoir vivant, sans se savoir soumis au risque de mourir. Lacan poinçonne cette affaire dans son allocution à Louvain en 1972. A savoir, comment continuer si on ne savait pas au moins une chose, eh bien c’est que ça finit un jour !
D’ailleurs la psychanalyse a-t-elle jamais été plus nécessaire et plus vivante et vivifiante tant elle se fonde et existe précisément là où ça ne va pas ? Là où quelquechose ne tourne pas rond, et donc, précisément, à la fois en-dehors et contre le Discours Capitaliste qui lui, tourne en rond, sur lui-même.
Pour reprends l’hypothèse centrale de l’ouvrage, reformulons : Ces rencontres dont l’écrit ici est le témoin tracé, des passages où le désir inconscient s’affirme et trouve son orientation ; forment, dans et par cette histoire un socle de résistance désigné ici comme le « Camp généralisé et son discours » ...
Faisons le choix là d’une citation parmi un grand nombre qu’on trouve dans l’ouvrage, celle de Spinoza, dans son « Traité théologico-politique » : « Le plus grand secret consiste à tromper les hommes afin qu’ils combattent pour leur servitude comme si c’était pour leur salut. »
Pour la mettre en travail, si on retournait cette affaire ? Cette duperie ?
Si on permutait ce mouvement, cette trajectoire, en proposant un renversement, à l’endroit même du discours qui nous enferme ?
C’est tout ce que reprend une idée d’introduction de l’ouvrage : Dénoncer, tout en dénonçant la dénonciation.
Soulignons là l’idée forte et subversive que propose Lacan dans l’après-coup de sa première et seule - c’est important de le préciser - écriture du Discours Capitaliste en Italie en 1972 : « À dénoncer ce discours, on le renforce, à le normer, on le perfectionne ».
Soit dit en passant, dénoncer donc dans un premier temps, sans être dupe du pas de côté à créer dans un autre temps, le tout pour susciter un autre temps une écriture dialectique.
Associons une idée en creux que l’auteur énonce presque d’emblée, celle de ne pas oublier qu’il s’agit de passer par les autres discours avant d’en arriver au discours analytique. Et soulignons-le, quitte à le faire infuser ailleurs. C’est tout de même un angle qui marque une éthique humble, mais peut-être nécessaire. Nous pourrions discuter de ce que cela implique en pratique.
Nous avons en commun le désir d’être près des mots, un goût que Joseph Rouzel participe à passer. C’est à savoir en quoi l’étymologie peut aider à penser, et là, en passant par camp et planète. Planète-camp.
Le camp, sans doute emprunté à l’italien campo, présentait au départ une connotation militaire, mais a vite pris le sens qu’on lui connait au début du XXème tel « le groupement de personne enfermées par un pouvoir policier dans des conditions inhumaines ». On y attrape en fond un aspect, en théorie, provisoire, et d’instabilité. C’est le moins qu’on puisse dire.
La planète, planeta, issu du latin dès le IIème siècle évoque elle un « astre mobile », en opposition aux étoiles qui à l’époque semblaient « apparemment fixes ». Soit, le voyage, l’errance. L’usage moderne modifiera son sens pour aborder un corps céleste qui gravite autour du Soleil.
Outre les analogies, pour adosser ces mots, et appuyer leur fonction disons tels des « signifiants maîtres » de l’ouvrage ; on pourrait transposer : « discours et enfermement » versus « passage et désir ». Ce qui nous présente un fort paradoxe, et justement, est-ce toute la question de fond.
Donc, pour reprendre : La « planète » dans sa quasi-permanence, son histoire ; et le « camp » avec tout ce qu’il est censé évoquer de provisoire. Ainsi le risque effractant par inversion :
La permanence pour le camp et le provisoire pour la planète.
Pour autant, gardons l’aspect exigeant quant à la psychanalyse et son discours, c’est être et rester en dehors de tout catastrophisme. Mais pas-sant tenir sur la « gravité » de l’affaire.
Peut-on évoquer que la chose, disons personnelle, écrite dans ce livre mérite d’être lue plutôt que commentée insuffisamment ici, mais reste à en dire ce qu’il en ressort croisé au fort de la thématique.
Le Joseph Rouzel qui me propose de lire, dire, pour sans doute l’écrire, présente un témoignage fort d’un parcours, le sien, où fait retour comment les rencontres creusent l’intimité et l’humilité. Mais qu’à rester qu’entre pairs, on s’y perd.
Alors, se perdre un peu, pourquoi pas, mais s’éloigner de la cause du désir, non !
Et ce que cette histoire ; l’histoire, met au travail, c’est on ne peut plus clair :
Le présent et son récit perce, fait des trous, et nous le lisons, il n’y a que les trous qui vaillent pour la trouvaille.
L’assemblement de ces textes réunis dans le livre proposent une métaphore d’autres rassemblements ; ceux des rencontres, des évènements, des parcours, d’une mobilisation des savoirs et des corps. Il en advient une richesse, celle de la dissemblance. De l’intime au collectif ; et « vice versa », en creux de l’ouvrage, ces traits en font son attrait.
Au travers de l’histoire du monde et de celle du sujet on lit des fabriques, des traversées et des constructions institutionnelles, qu’on pourrait épeler : De la formation à la subversion.
Et là, Il s’agit aussi de « décision ». Ça revient sans cesse, ça parle de l’acte !
Responsabilité, désir, cheval de Troie ; chemins, espaces, trous ...
Là où la question : « Comment faire » ? est déjà un coincement, on lit dans ce livre l’acte qui s’impose à nous quant au choix des nombreux lieux qu’on fréquente déjà, lieux qui sont déjà là à proximité et à notre portée. Le déjà-là, c’est l’objet crucial que la poésie d’Aragon dans Le Fou d’Elsa reconsidère au présent : « Je nomme présent ta présence » !
Si on se noie dans le discours généralisé mobilisé par le discours commun - aussi asservissant que diffusé et purulent - on y coule à se faire rouler par l’évènement au sens de l’évènementiel.
C’est ce qu’on peut lire chez Anders, dans l’Obsolescence de l’homme :
Si près de l’évènement, si loin du sujet, et on s’écarte de notre objet.
De désir.
D’ailleurs, la citation d’Anders connue citée dans son essence dans l’ouvrage résonne largement avec la préface du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ; à savoir qu’elle présente presque un programme idéologique parfait. Parfait au sens de l’idéologie néolibérale, on s’entend. (Néanmoins entre malentendants, on essaye.)
D’où le risque qui entre dans la Cité, à savoir ; la mise à jour de « l’idéal » comme légitimation.
Surveillance, Caméra, contrôle.
De “Big Brother is watching You” à : “Big Mother is taking care of you”.
Jusque sur les panneaux d’autoroute : « Prenez soin les uns des autres ».
Ce n’est quand même pas très bon signe quant à l’état du lien social ...
Un ami me rappelait à l’ordre, justement, à propos de l’interprétation, peut-on dire, Foulcadio-Lacanienne pour ni confondre, ni recouvrir la société de discipline, de surveillance et de contrôle.
On passe ainsi de lieux disciplinaires situés, à une surveillance qui se déploie, puis à un contrôle qui circule.
Ce que ce livre offre est le mouvement d’aller observer les champs d’études et de recherches que cela suscite.
En tout cas, là aussi, on a l’intuition qu’autour des mots clés, tels que les « lieux », les « espaces » et le « temps », des registres en mouvement continu sont à déplier pour regarder de plus près l’existence des intervalles de subversions.
Ça arrive, au sens où ça advient. Il faut tout de même repérer qu’aujourd’hui plusieurs études sérieuses sont très critiques sur les systèmes vidéo déjà installés lors des précédents jeux olympiques et l’analyse quant à la persistance, la permanence de ces dispositifs et leurs conséquences. Des analyses scientifiques démontrent l’inefficacité quant aux espérances de préventions ou même de répressions, et ce, bien en écart des attentes préalables. Sur un registre assez similaire, il en ressort tout autant d’éloignements dans l’analyse d’après-coup des mesures établies lors du confinement durant la crise sanitariste. À suivre de près, quels apports sur la contamination, sur le soin, sur la vie et la mort ...
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Dans cet ouvrage, on lit donc la nécessité de retrouver le courage de parler la fiction politique, qu’il s’agit de trouver et décider l’espace de le penser, l’analyser, le parler, et défixer la fixion de la science, soit l’illusion d’attraper un réel qu’on ne peut qu’approcher.
Lacan, lors de son intervention sur France Culture en 1973 précise que « le discours de la science a des conséquences irrespirables pour l’humanité ». Et face à ce contexte étouffant, la psychanalyse est le « poumon artificiel grâce à quoi on essaie d’assurer ce qu’il faut trouver de jouissance dans l’parler pour que l’histoire continue ». Il poursuit par une précision, une pépite, une boussole ; en prendre la graine : « On ne s’en est pas encore aperçu et c’est heureux parce que dans l’état d’insuffisance et de confusion où sont les analystes, le pouvoir politique aurait déjà mis la main dessus. Pauvres analystes, ce qui leur aurait ôté toute chance d’être ce qu’ils doivent être : compensatoires (…) ». Il nous semble là être une question centrale : les psychanalystes en ont-ils encore suffisamment la mesure ?
La question de l’articulation entre amour/désir/jouissance redevient alors fondamentale. Se perdre dans ces jonctions c’est entrer dans l’illusion du discours courant qui refoule la morbidité essentielle de toute jouissance.
« Un bon smoothie frais à la fraise à l’aube avec un coach à domicile pour un planning yoga-jogging-pilates » : Le bonheur, à la bonne heure ! ... Pas un maux de plus, un séminaire à l’@ssociation est-il en préparation sur ces questions ...
Entre un constat pratique clinico-institutionnel et le fond de questionnement de ce livre, on pourrait mettre en interrogation : Qu’est-ce que les lieux d’enfermements révèlent très précisément de l’actualité de notre société et de ses choix politiques ? Mais au fond, pas uniquement ; les sujets concernés sont-ils « prisonniers politiques » et comme nous, « prisonniers du politique » ? Juste devant la porte du désir, asservi à un coicement, attestation prête en main, signée par nos soins ...
De l’écho-vide du Covid Il y aurait tellement à dire ...
Joseph Rouzel, en passant, ne s’en ai pas gardé ...
Associons là les mots d’un patient lors d’un groupe thérapeutique en prison qui évoquait le « confermement », autrement dit, le confinement d’enfermement dans l’enfermement ? Un enfermement au cube ... entre quatre murs.
De quoi ça cause la parole et l’écrit pour un « manuel de survie » ?
Par le tissage de quelques lettres, ici, s’il ne se présente par bribes et fragments nous sommes baignés par alternance, d’un récit avec ses ouvertures et percées, en passant donc par la poésie !
Et qu’est-ce que ces percées et trous ont produit ?
Comme le pose Joseph Rouzel de Platon à Edgard Morin, on touche la question de l’hubris, entendons la jouissance de l’époque antique à l’époque moderne qui participe à la dépossession de l’objet social et politique à l’endroit même où il était censé le créer ? Considérer avec certitude atteindre la démocratie serait l’endroit de son anéantissement ...
Si nous partons de la création des espaces, est-ce déjà invertir l’existant, est-ce par le « collectif » pour tenter une ouverture ? Et ainsi reprendre à notre compte les « communs coopératifs », sans être dupe. Nous pourrions là nous référer à Zizek pour se faire non-dupe de l’idéologie dominante qui n’est pas une vision positive d’un futur utopique, mais une sorte de « résignation par l’acceptation du monde ».
Nous faisons l’expérience dans nos pratiques institutionnelles que toute vision proposée d’un autre monde est vite considérée comme idéologique et s’en trouve rejetée, même si sans doute est-ce plutôt par résistance que par perversion.
Le discours qui domine opère en écrasant cet espoir et dénonce tout projet critique en affirmant qu’il ouvrira à une nouvelle horreur totalitaire. Pourrions-nous alors déplacer l’utopie à l’a-topie, comme le soulève par exemple Rancière, qu’on peut interpréter, comme un lieu « autre », que j’aime en reprenant ses mots appeler des « lieux occupés par des ouvriers poètes ». Ce lieu comme non-lieu, « entre-deux du conflit », travaille sans cesse le « monde commun ».
Ainsi pris dans le mouvement des discours, comment faire subversion par nos actes ?
La fabrication d’institutions comme « contre-institution » propose une forme de symbolisation du « commun » qui impose d’accueillir le « laissé pour compte ». On entend là le sujet, mais aussi la situation sociale, c’est-à-dire assumer que « n’importe qui » peut être et devrait être sujet du politique en tant qu’être parlant.
On peut alors demander à l’institution de se refonder avec l’existence de forces subjectives incluses dans ces créations de « contre-institutions » dynamiques et alternatives.
S’émanciper passe par une transformation subjective, mais aussi via la relation à l’espace public. Alors on travaille sur les bords, sur les marges, là où la politique est parfois devenue invisible.
C’est là un des fils majeurs de l’ouvrage ; « La lutte politique, c’est aussi la lutte pour l’appropriation des mots ». Et la psychanalyse nous apprend à ne pas céder sur ces mots pour ne pas céder sur nos actes.
Faire l’économie de la rencontre, et chercher à y placer du fonctionnel, du machinal, est-ce si nouveau ? Le problème est davantage issu de l’organisation politique, et donc le processus légal et administratif en cours pour l'accommoder d’une certaine obéissance généralisée.
On y vient.
On lit souvent que la poésie est un support de subversion, ce qui n’est pas sans interpeller. Nathalie Quintane rétorquait à Jacques Rancière et Éric Hazan qu’il est bien difficile de faire la révolution avec un stylo ...
C’est un point important dans le fil de l’énoncé, la fiction politique peut nous guider plutôt vers l’énonciation de l’imaginaire pour s’institue comme des ouvertures permanentes. Pour ce, se refuser à la langue nouvelle qui fait jouer et pulluler les objets du marché ; jusqu’à envoyer dans l’espaces des habitacles parfaitement habitables tel que Lacan nous le relève dans son interview par Granzotto.
Mais depuis la fin des années 60 on est passé des fusées à la Tesla. Voilà un petit symbole des débordements de jouissance que le discours capitaliste insère partout, sur simple demande de livraison. Pour l’illusion du « tout est possible » un roadster est envoyé flotter dans l’espace.
Sans aimer quelques analogies simplistes, un simple partage.
La Tesla qu’on pourrait désigner tel l’objet témoin qui passe du « Vroum vroum » au « Prout prout ».
Tesla gratifie régulièrement ses clients de ce qu'il appelle des Easter eggs, traductions littérales des oeufs de Pâques. En sommes, des mises à jour du logiciel de bord qui introduisent des fonctionnalités souvent humoristiques ou décalées pour les systèmes multimédias de ses fameuses voitures électriques. La dernière datant de 2/3 ans, où il s'agit de six sons reproduisant des flatulences que le conducteur peut déclencher en appuyant sur un bouton du volant ou en actionnant le clignotant. Mais ce n'est pas tout.
Un client s'est adressé directement à Elon Musk via Twitter pour lui demander d'ajouter une fonction à l’application mobile pour qu'il puisse déclencher à distance des petits pets lorsque sa femme prend le volant.
Réponse positive et enthousiaste de l’entreprenant patron ...
Tout un poème.
Ressaisissons-nous.
Pour reprendre, de la dénonciation à engager, mais non sans subversions pour créer des espaces par l’acte de creuser des trous !
Cet ouvrage déplie ses thèses par récits de pièce de vie qui touchent au désir, à ses bonds, rebonds, et rebondissements...
Revient là à la poésie.
Peut-on dire que la cure, entre-autres, nous y amène qu’on le veuille ou non, parce que son effet détraque un peu la loi du langage, nous fait vaciller comme au temps de l’infantile où le sens des mots voyage à l’instinct.
Le poète est un atopiste au sens où il travaille l’élasticité des impasses.
Atopie en tant qu’une utopie toujours en mouvement.
On ouvre.
Le poète, c’est celui qui ouvre au dit, du dit au dire par l’écrit, autrement dit, par l’inscription et sa trace pour passer de l’énoncé à l’énonciation.
Une expression de l’impression qui dit autre chose qu’un « voilà ce qui se passe sur la planète », mais un récit travaillé de l’histoire, de son hystoire, là avec un « y » pour aller vers l’acte du dire et de décision qui pousse au savoir sur le monde.
Psychose/Hystérie ; Lacan/Freud.
Pour chacun un sujet a poussé le désir de sa recherche éperdue.
À la folie.
Le génial des fous, leurs inventions si enseignantes.
Comment se fait-il que les cliniciens qui aiment tant les fous sont si concernés par le politique ?
Le fou est sur-talentueux pour révéler et maintenir un point, pour le proposer à ma façon un lien avec un propos du bouquin, je dirais : Rester boiteux dans l’ordre de marche du commandement ...
Ce parlêtre fou nous main-tient à observer comment un sujet peut se débrouiller lorsqu’on est « hors-discours » ...
Une rapide proposition d’une réflexion en cours ... :
Le psychotique propose un autre discours, celui de l’homme libre, selon Lacan, au sens d’une impossibilité d’entrer dans la circulation du lien social. Sur ce point il interroge spécifiquement la façon dont le parlêtre entre en relation avec les autres. Lacan le dit très bien dans un petit passage de son séminaire sur Les psychoses, à ma connaissance assez peu repris, en tout cas pour l’instant : Le fou est un « seigneur et maître dans la cité du discours, dans le champ social de la polis, dans lequel il fait son entrée comme un cheval de Troie - image qui nous montre la puissance et la menace pour l’ordre établi que représente le psychotique. »
Cette menace, évidemment imaginaire, évoque rapidement l’actualité médiatique généralisée et son contexte dit de « danger psychiatrique ».
Le psychotique entre dans la cité en soulignant l’inconsistance de l’Autre, il déchire les semblants par l’ironie, le cynisme et l’incrédulité. Il pulvérise ce qui « est », le connu, l’institué, il réfute le savoir de l’autre en dénonçant le semblant social d’une jouissance indomptable. Notre clinique nous apprend qu’il tente l’entrée dans un discours pour s’en tirer.
Il ne peut faire que ça, mais n’y parvient pas qui veut.
L’avons-nous suffisamment relevé, la manière dont le fou est traité est une prémisse révélatrice de ce qui peut nous attendre, les personnes les plus fragiles d’abord, et la suite ? ...
Quand ?
Heureusement on ne peut pas le dire parce qu’il y a un point de réel à assumer. Cependant on peut largement reprendre la phrase de Bonnafé évoquée pour le champ de la psychiatrie et entendre sa possible transposition grâce à l’ouvrage qui nous réunit aujourd’hui : « nous sommes passés de l’internement abusif à l’externement généralisé ».
Cela se passe de commentaire.
Pour conclure, et toujours provisoirement.
Si la planète est un « camp », qu’en est-il de la « prison » ou des « centres de rétentions » ?
Et là le poids des mots et leur représentation soutiennent une gravité très actuelle.
Le poids des mots, la force de la langue.
La puissance du dire.
Un désir à la lettre.
Une question nous empêtre.
Reste à voir ce qui nous fait jouir de l’impossible dont on se plaint, et sa question symptôme, on y revient, est souvent : « Comment faire ?! »
Eh bien continuer, à quelques-uns tenir, tenir debout, du un par un au collectif, du singulier au pluriel, sans cesse.
Malgré, c’est-à-dire grâce à la dissemblance de tous.
Ensuite ?
Recommencer, continuer.
Et là la question que relève et soutient l’auteur dans l’articulation à la pensée d’Edgard Morin n’est pas sans rappeler le récit même d’une interprétation de Lacan à une patiente, on reformule, à savoir : Trouver la vigueur d’un discours qui ne nous laisse pas seul à être seul parmi les autres.
Ainsi, ce livre soulève les enjeux des différents scansions des temps de la vie et de ses traversées.
Passages de désirs.
Est-ce toujours dans l’après-coup qu’on peut les nommer et le repérer ainsi ?
Des danses de combat jaillissent sur les décombres, des craquelures aux évasions.
Trouer, creuser, est-ce que ça suffit ?
Création d’espaces autres, bâtir des lieux, des collectifs, des oasis, des îlots, mais surtout dans un second temps insister d’y associer des ponts et des circulations.
Joseph Rouzel cite Paul Celan pour rattacher l’idée que « La parole casse le fil » ; c’est sur un fond d’absence que le chemin de l’impossible nous rend vivant.
« impossible » et « chemin » sont à considérer comme des signifiants maîtres du réseau sémantique des restes de l’après-coup de la cure.
Je m’y colle : sur le lit de l’impossible, chemin faisant ...
Tel que le dit Lacan dans son interview de l’Express en 1957, assez peu citée :
il s’agit de constituer « une armée d’ouvriers pour moissonner ».
Nous ; ces petits canaris qui annoncent à petits cris le coup de grisou en cours.
Espérons-nous suffisamment près des sujets du social qui travaille et enseignés par eux.
Un peu alors déshébétés, non dupes de notre liberté de désobéir, humbles lanceurs d’alerte dans l’obscurité du monde, tenir sur l’acte du dire.
Certainement, un labeur éreintant sur un champ peu défriché, mais prêts à l’ensemencement où l’humus est à travailler pour encore essaimer quelques graines désirantes.
Pour rejoindre et terminer sur la cause de l’ouvrage, il en va de gagner notre barque précaire pour rejoindre le centre de la tempête ;
Et après ?
On verra.
Sébastien Firpi, psychologue clinicien à Marseille