Des signes ostentatoires de désespérance?
« Ces livres venus sur le tard, « L’avenir d’une illusion » et « Le malaise dans la civilisation » ne sont peut-être pas aussi nourris que les précédents ; mais ils sont plus poétiques. Ils contiennent moins de science démontrable, mais plus de sagesse (…) C’est comme si, pour la première fois, derrière le regard scrutateur, surgissait l’être humain si longuement dissimulé qu’est Sigmund Freud.
Mais ce regard qui contemple l’humanité est sombre ; il est devenu tel parce qu’il a vu trop de choses sombres ; continuellement, pendant cinquante ans, les hommes n’ont montré à Freud que leurs soucis, leurs misères,, leurs tourments et leurs troubles, tantôt gémissant et interrogeant, tantôt s’emportant, irrités, hystériques, farouches ; toujours il n’a eu affaire qu’à des malades, des victimes, des obsédés, des fous ; seul le côté triste et aboulique de l’humanité est apparu inexorablement à cet homme durant toute une vie. Plongé éternellement dans son travail, il a rarement entrevu l’autre face de l’humanité, sereine, joyeuse, confiante, la partie composée d’hommes généreux, insouciants, gais, légers, enjoués, bien portants, heureux. Il n’a rencontré que des malades, des mélancoliques, des déséquilibrés, rien que des âmes sombres. Sigmund Freud est resté trop longtemps et trop profondément médecin pour n’en être pas arrivé peu à peu à considérer toute l’humanité comme un corps malade. Déjà, sa première impression, dès qu’il jette un regard sur le monde du fond de son cabinet de travail, fait précéder toutes recherches ultérieures d’un diagnostic terriblement pessimiste : « Pour toute l’humanité, de même que pour l’individu, la vie est difficile à supporter. »
Stefan Zweig, « Sigmund Freud, la guérison per l’esprit », Le livre de poche 2021.