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PRAXIS 74 . Travail social et psychanalyse.

21 avril 2024

De la jouissance au désir

 

Dans l’Antiquité, le désir était circonscrit au Discours du maître et il devait être conforme à la morale des dominants. C’est avec Freud au début du siècle dernier, que le désir a pu s’exprimer dans toutes ses composantes y compris et surtout sexuelles, là où le désir est relié au plaisir.

L’ère contemporaine – qui s’illustre par une nouvelle économie psychique (Melman et Lebrun) - est celle d’un matérialo-utilitarisme qui assurerait la pleine satisfaction de chaque-un, ça s’appelle la jouissance objectale et c’est un rêve qui est un leurre sociétal, et cela pour des raisons structurelles, l’insatisfaction des trumains est de structure, il est marqué par le manque à être : ce n’est jamais « ça » …alors, autant courir après son ombre.

Les animaux humains sont des parlêtres, ils peuvent se poser la question ontologique de l’Etre en parlant aux autres, le parlêtre est pris dans le langage, il est conduit et déterminé dans le registre du désir et il n’est pas maître en la demeure car le désir du sujet dépend du désir de l’Autre. Qu’est-ce que le désir de l’Autre ? Le discours était déjà mis en place avant notre naissance, nous avions un patronyme ou un matronyme, et parfois déjà un ou deux prénoms, une adresse, et nous étions inscrits dès la naissance dans un Livret de famille, une inscription dans le symbolique ; et cette naissance s’accompagnait des discours du père, de la mère, des frères et sœurs, des grands parents, de la famille élargie, de l’entourage, des attentes et des souhaits et voire même des aspects négatifs ou positifs quant à notre venue au monde. Le sujet naissant est dès lors submergé par un bain de signifiants constituant le discours de l’Autre, auquel, au départ il ne comprend rien mais les enregistre à son insu dans ses réseaux neuronaux.

Ce discours préexiste au sujet qui advient, ce sera son héritage qu’il intériorisera et sans en connaître la véritable teneur. C’est Lacan - ce penseur visionnaire de la psychanalyse – qui expliquera que tout sujet est avant tout inscrit dans un texte présent avant lui, et ce matériel textuel – du fait de la plasticité du cerveau - va caractériser l’inconscient en genèse. C’est ce discours de l’Autre avec sa galerie de signifiants qui va constituer l’inconscient du sujet. Cela va le déterminer et cela s’illustrera dans sa vie par des impasses, des répétitions, des impossibilités, des butées, du refoulement, de la frustration, de la colère, du chagrin, du déni ; et seule une analyse approfondie pourra bouleverser et remanier ce savoir inconscient qui est aliénation transcendantale. L’aliénation sociale viendra de surcroit et toujours de façon insidieuse via ce que j’appelle « l’idéologie dominante », en référence à notre ami disparu, j’ai nommé le philosophe marxiste Louis Althusser.

Ainsi dans une analyse l’enjeu ne sera pas une consolidation du Moi ni une éradication des symptômes dans le but d’une meilleure conformité sociale. La psychanalyse n’a pas de visée orthopédique. Le but d’une cure analytique sera l’exploration du champ du désir, en d’autres termes, faire émerger le discours inconscient et la singularité du sujet. Cette finalité constitue l’éthique même de la psychanalyse. « Cultivons notre étrangeté légitime » disait le poète René Char.

Mais il ne faut pas confondre désir et jouissance. Chez les grecs anciens, le champ spirituel était soutenu par la recherche du souverain Bien, tel un idéal du Moi sociétal, et cela correspond, en psychanalyse à la dynamique du désir que la Doxa lacanienne appelle « phallus », cet horizon inatteignable, cet objet à la fois imaginaire et symbolique. Ce souverain Bien est ce qui (nous) manque, et le rechercher, c’est suivre la voie du désir qui s’organise à partir de ce manque qui est la perte primordiale et consubstantielle aux animaux parlants, les trumains.

La recherche des plaisirs immédiats c’est la voie de la jouissance, elle veut faire suture, combler, saturer, jouir sans limites, obstruer la béance existentielle, et cela en vain. Il faudrait pouvoir choisir entre désir et jouissance et cela renvoie même à des choix de société.

De quelle société voulons-nous ? Que voulons-nous privilégier dans notre vie sociale ? Celui qui ne vit que dans la jouissance voue son existence aux futilités consuméristes des satisfactions immédiates toujours décevantes. Sa vie sera une quête effrénée et sans fin de colifichets où il faut consommer sans cesse, quête d’objets « cause du désir » qui s’avèrent toujours en deçà des aspirations imaginaires à une jouissance qui se voudrait si possible sans limites. Décidément, ça laisse à désirer !

La psychanalyse peut-elle l’aider à en sortir ? La psychanalyse – c’est-à-dire des psychanalystes de bonne volonté – aura pour tâche de parvenir à transformer l’homme pris dans les jouissances multiples et mortifères en sujets de désir, à condition qu’il le veuille vraiment et soit moteur dans cette métamorphose par laquelle il aura notamment appris à sublimer, en d’autres termes à détourner les pulsions. Au début d’une analyse, il faut que la démarche s’inscrive d’emblée dans la plus haute visée éthique, caractérisée par cette question de départ : quel pourrait être ce souverain Bien qui me permettrait un rapport au monde plus fluide et plus facile ? C’est-à-dire pouvoir lâcher prise, ce qui autorise une autre respiration.

Le cadre des psychothérapies – et surtout d’inspiration comportementaliste - est différent, car la question du Bien est escamotée. Le thérapeute se mettra au service des « petits biens » que sont les jouissances, et non du Bien, c’est-à-dire le désir inconscient. Il s’agira essentiellement d’ajustement à la réalité. Il s’occupera de l’adéquation sociale, conjugale ou professionnelle de son patient. Il lui offrira un « prêt à porter » sociétal, il le rendra conforme et le normalisera, et cela sans aucune prise en compte de sa singularité, le sujet sera là hors sujet.

En évoquant le désir et le souverain Bien, cela convoque aussitôt l’amour. L’amour serait l’aspiration altruiste à vouloir le bien de l’autre, cela souligne le lien entre l’amour et le souverain Bien. C’est Lacan qui révélera que l’amour c’est donner ce que l’on n’a pas (… « à quelqu’un qui n’en veut pas »), c’est-à-dire offrir ce souverain Bien qui (me) manque et qui me manquera toujours ; le Bien étant définitivement un objet perdu, car dans le monde connu, il n’y a aucun objet qui puisse lui correspondre.

Au commencement de l’analyse va naître – et c’est indispensable - l’amour de transfert, cet amour adressé au savoir ; l’analysant ayant la conviction que l’analyste possède un savoir sur lui, ainsi que la clef de résolution du malaise qu’il peut vivre dans la civilisation. Le transfert sur l’analyste s’illustrera notamment par des répétitions de scénarios à deux, en rapport avec des expériences relationnelles et affectives antérieures. Le désir prendra forme à partir de ce transfert via la parole échangée dans l’espace analytique, et peu à peu il sera possible d’apprendre ce qui nous anime dans l’existence et savoir un peu plus qui l’on est. Sans relation de transfert, pas d’analyse, il faut en passer par là, quitte à devoir supporter les excès, où émergent l’amour et parfois sa face cachée, la haine – à l’instar de ce qui se passe sur une bande de Moébius - ; mais dans ce dernier cas, cela mettrait en danger la bonne marche de la cure.

Evidemment, la relation transférentielle induit une dissymétrie, l’un étant l’aimé (le désirable) et l’autre l’aimant (le désirant). Cependant cette aliénation nécessaire est provisoire, transitoire et momentanée. Elle est préférable à la possibilité de rester toute sa vie l’objet de ses symptômes ; l’analyse menée à son terme permettra de parvenir à vivre de façon inventive et novatrice, de se mettre en adéquation avec son désir par la sublimation active, ce qui pourrait convenir à une bonne définition de l’éthique.

Pour conclure provisoirement, les finalités de la psychanalyse ne seraient-elles pas en phase avec l’injonction nietzschéenne : « Deviens ce que tu es ! »

Nietzsche psychanalyste avant l’heure ? Il y a de quoi gloser…

 

Serge Didelet, le 19/04/2024

 (Texte inspiré de la lecture de l’excellent ouvrage de Gérard Amiel, « Apprendre à désirer »)

25 février 2024

La planète-camp, le dernier ouvrage de Joseph Rouzel

La planète-camp

 Pour reprendre quelques lignes de Monique Lauret qui n’a pu être là, ligne qu’on ne peut pas ne pas rejoindre, parce qu’elles ne peuvent mieux aider à synthétiser et présenter le livre.

Ce livre de Joseph Rouzel est adressé à tous les « assoiffés de parole vraie », celle qui relance le désir et réorganise la pensée. Des ouvertures par les espaces de rencontres, de lectures, de par ses compagnons de route. On ne peut tous les citer tant ils sont nombreux. Des traces écrites et déposées tel des petits cailloux semés la route du sujet. Un travail qui défend la psychanalyse et qui accueille le sujet de l’acte de parole. Un travail qui œuvre à son émancipation et non à son asservissement, dans une dimension inventive et poétique. La pensée vivante de grands penseurs se déplace aussi entre les lignes, de Freud à Lacan en passant par Marx, Adorno, Morin, et quelques autres. Ce livre rejoint le travail des de nombreux penseurs résistants, adressé à tous ceux qui s’opposent à toute désincarnation des utopies. D’où l’importance de la rencontre, comme il l’affirme, dans le passage où le désir s’affirme et trouve son orientation. Né dans un Camp, dans un milieu qui n’y prédisposait pourtant pas, Joseph Rouzel témoigne dans son émouvant récit de la possibilité d’accomplir un très grand chemin en Humanité par un engagement collectif sans faille. Il laisse jaillir de l’ombre de la logique du Camp, quelques puits de lumière aujourd’hui nécessaires. Joseph Rouzel se fait éclaireur lucide, frère en humanité, batelier d’une transmission du vivant.

 

Le ton est donné.

Ces propos inspirés par Monique Lauret retraçant sa lecture du dernier ouvrage de Joseph Rouzel inspire la couleur de ce temps ensemble en séminaire.

Dans la préparation et la sollicitation de celui-ci il soulignait que nous avions peut-être quelques thèses communes à soulever. Au début de l’ouvrage cela ne m’est pas apparu avec évidence. Est-ce sans doute l’effet d’une résistance à la lecture tant la question des « Camps » impose une réalité difficile, une histoire lourde ; aussi quant à ses rapports à l’actualité du monde. Grave, ancrée dans l’histoire, inquiétante, anxiogène.

Toute la question, bien difficile, exigeante, que suppose de s’en mêler est-ce sans trop s’emmêler ; si je puis dire.

Et là, revient l’idée, venons-en un temps d’emblée : à l’actualité de la psychanalyse, l’actualité de comment le social travaille, et comment ça nous travaille.

Question vive, donc : A quand un changement, à quand un soulèvement plus général que celui qu’on vit et espère depuis longtemps à quelques-uns ?

Je m’autorise à y aller là, au passage, comme elles viennent, de quelques notes inscrites durant la lecture, toute récente d’ailleurs.

Et fallait-il ; de fait, re-situer la question de la psychanalyse dans son rapport au lien social plutôt qu’au social.

Une préoccupation pour la planète ; quand ?

La Planète ; Quand ?

Le « camp » chez Lacan, était un « Là-quand » grâce auquel il se disait : poème.

« Je suis poème » ; au sens, « je suis sujet de désir » !

Nous dire enfermés, nous permet-il de « sortir », en tout cas de « nous en sortir » ?

 

Lacan propose dans le Séminaire XX, avec une forme malentendue de pessimisme, - plutôt qu’heureux, pourrait-on dire amoureux, - à savoir, je cite : « le temps qu'il faut pour que ça se résolve enfin - c'est là ce qui nous pend au nez - démographiquement. »

Ce qui n’est pas-sans résonner avec le sous-titre : « Psychanalyse de l’extermination » ; et non sans évoquer « psychanalyse du trauma », « psychanalyse du social », en outre, un angle qui ré-ouvre notre réflexion commune et insondable : « psychanalyse et politique ».

Terrain, vivifiant, mais terrain glissant ; et autant de croisements de thèmes qui ne font pas tout le temps « évidence ». Nous, c’est plutôt : évider-le-sens. Au sens qu’on se préoccupe du discours analytique et de son exigence, à savoir que la psychanalyse « n’opère que du discours qui la conditionne ».

Mais ; toujours faut-il ne pas s’aliéner à un discours par un pseudo dévouement au savoir analytique. Nombre de groupes et d’associations s’y perdent, ou d’un point de vue du dit contemporain, ou d’Une psychanalyse d’entre-soi, en dehors de toute réalité de l’actualité du monde.

Ce qui nous intéressera est plutôt une « autre voie », sans doute celle que nous avons en commun avec notre ami Marie-Jean Sauret ; d’ailleurs encore présent à l’association il y a peu, mais surtout, invité au premier colloque de l’association en 2017, et pas pour un rien.

Quoiqu’il en soit, l’encre coule, la parole se répand, les groupes essaiment. La psychanalyse est vivante, et sa dite actualité ne peut que se saisir de l’actualité du sujet. Cela a toujours été le cas. La clinique est politique, la psychanalyse, aussi épistémologique, et surtout non idéologique. C’est ce que soutient ce livre, et Joseph l’avait déjà souligné autre part, justement : la psychanalyse est partout, le psychanalyse ailleurs, mais un ailleurs dans le monde parce qu’il y joue l’après-coup en acte de l’historicité de sa cure. Ce qui me semble que l’auteur soutiens là.

 

En sous-titre, l’« Extermination », ce n’est pas très réjouissant. Mais c’est toujours sur le lit de la catastrophe que le collectif se révèle, et se « relève » pour inventer. C’est sur le lit de la mort à venir que se fonde le vivant. Il serait bien embarrassant de se savoir vivant, sans se savoir soumis au risque de mourir. Lacan poinçonne cette affaire dans son allocution à Louvain en 1972. A savoir, comment continuer si on ne savait pas au moins une chose, eh bien c’est que ça finit un jour !

D’ailleurs la psychanalyse a-t-elle jamais été plus nécessaire et plus vivante et vivifiante tant elle se fonde et existe précisément là où ça ne va pas ? Là où quelquechose ne tourne pas rond, et donc, précisément, à la fois en-dehors et contre le Discours Capitaliste qui lui, tourne en rond, sur lui-même.

 

Pour reprends l’hypothèse centrale de l’ouvrage, reformulons : Ces rencontres dont l’écrit ici est le témoin tracé, des passages où le désir inconscient s’affirme et trouve son orientation ; forment, dans et par cette histoire un socle de résistance désigné ici comme le « Camp généralisé et son discours » ...

Faisons le choix là d’une citation parmi un grand nombre qu’on trouve dans l’ouvrage, celle de Spinoza, dans son « Traité théologico-politique » : « Le plus grand secret consiste à tromper les hommes afin qu’ils combattent pour leur servitude comme si c’était pour leur salut. »

Pour la mettre en travail, si on retournait cette affaire ? Cette duperie ?

Si on permutait ce mouvement, cette trajectoire, en proposant un renversement, à l’endroit même du discours qui nous enferme ?

C’est tout ce que reprend une idée d’introduction de l’ouvrage : Dénoncer, tout en dénonçant la dénonciation.

Soulignons là l’idée forte et subversive que propose Lacan dans l’après-coup de sa première et seule - c’est important de le préciser - écriture du Discours Capitaliste en Italie en 1972 : « À dénoncer ce discours, on le renforce, à le normer, on le perfectionne ».

Soit dit en passant, dénoncer donc dans un premier temps, sans être dupe du pas de côté à créer dans un autre temps, le tout pour susciter un autre temps une écriture dialectique.

 

Associons une idée en creux que l’auteur énonce presque d’emblée, celle de ne pas oublier qu’il s’agit de passer par les autres discours avant d’en arriver au discours analytique. Et soulignons-le, quitte à le faire infuser ailleurs. C’est tout de même un angle qui marque une éthique humble, mais peut-être nécessaire. Nous pourrions discuter de ce que cela implique en pratique.

Nous avons en commun le désir d’être près des mots, un goût que Joseph Rouzel participe à passer. C’est à savoir en quoi l’étymologie peut aider à penser, et là, en passant par camp et planète. Planète-camp.

Le camp, sans doute emprunté à l’italien campo, présentait au départ une connotation militaire, mais a vite pris le sens qu’on lui connait au début du XXème tel « le groupement de personne enfermées par un pouvoir policier dans des conditions inhumaines ». On y attrape en fond un aspect, en théorie, provisoire, et d’instabilité. C’est le moins qu’on puisse dire.

La planète, planeta, issu du latin dès le IIème siècle évoque elle un « astre mobile », en opposition aux étoiles qui à l’époque semblaient « apparemment fixes ». Soit, le voyage, l’errance. L’usage moderne modifiera son sens pour aborder un corps céleste qui gravite autour du Soleil.

Outre les analogies, pour adosser ces mots, et appuyer leur fonction disons tels des « signifiants maîtres » de l’ouvrage ; on pourrait transposer : « discours et enfermement » versus « passage et désir ». Ce qui nous présente un fort paradoxe, et justement, est-ce toute la question de fond.

Donc, pour reprendre : La « planète » dans sa quasi-permanence, son histoire ; et le « camp » avec tout ce qu’il est censé évoquer de provisoire. Ainsi le risque effractant par inversion :

La permanence pour le camp et le provisoire pour la planète.

Pour autant, gardons l’aspect exigeant quant à la psychanalyse et son discours, c’est être et rester en dehors de tout catastrophisme. Mais pas-sant tenir sur la « gravité » de l’affaire.

Peut-on évoquer que la chose, disons personnelle, écrite dans ce livre mérite d’être lue plutôt que commentée insuffisamment ici, mais reste à en dire ce qu’il en ressort croisé au fort de la thématique.

Le Joseph Rouzel qui me propose de lire, dire, pour sans doute l’écrire, présente un témoignage fort d’un parcours, le sien, où fait retour comment les rencontres creusent l’intimité et l’humilité. Mais qu’à rester qu’entre pairs, on s’y perd.

Alors, se perdre un peu, pourquoi pas, mais s’éloigner de la cause du désir, non !

Et ce que cette histoire ; l’histoire, met au travail, c’est on ne peut plus clair :

Le présent et son récit perce, fait des trous, et nous le lisons, il n’y a que les trous qui vaillent pour la trouvaille.

 

L’assemblement de ces textes réunis dans le livre proposent une métaphore d’autres rassemblements ; ceux des rencontres, des évènements, des parcours, d’une mobilisation des savoirs et des corps. Il en advient une richesse, celle de la dissemblance. De l’intime au collectif ; et « vice versa », en creux de l’ouvrage, ces traits en font son attrait.

 

Au travers de l’histoire du monde et de celle du sujet on lit des fabriques, des traversées et des constructions institutionnelles, qu’on pourrait épeler : De la formation à la subversion.

Et là, Il s’agit aussi de « décision ». Ça revient sans cesse, ça parle de l’acte !

Responsabilité, désir, cheval de Troie ; chemins, espaces, trous ...

 

Là où la question : « Comment faire » ? est déjà un coincement, on lit dans ce livre l’acte qui s’impose à nous quant au choix des nombreux lieux qu’on fréquente déjà, lieux qui sont déjà là à proximité et à notre portée. Le déjà-là, c’est l’objet crucial que la poésie d’Aragon dans Le Fou d’Elsa reconsidère au présent : « Je nomme présent ta présence » !

Si on se noie dans le discours généralisé mobilisé par le discours commun - aussi asservissant que diffusé et purulent - on y coule à se faire rouler par l’évènement au sens de l’évènementiel.

C’est ce qu’on peut lire chez Anders, dans l’Obsolescence de l’homme :

Si près de l’évènement, si loin du sujet, et on s’écarte de notre objet.

De désir.

 

D’ailleurs, la citation d’Anders connue citée dans son essence dans l’ouvrage résonne largement avec la préface du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ; à savoir qu’elle présente presque un programme idéologique parfait. Parfait au sens de l’idéologie néolibérale, on s’entend. (Néanmoins entre malentendants, on essaye.)

D’où le risque qui entre dans la Cité, à savoir ; la mise à jour de « l’idéal » comme légitimation.

 

Surveillance, Caméra, contrôle.

De “Big Brother is watching You” à : “Big Mother is taking care of you”.

Jusque sur les panneaux d’autoroute : « Prenez soin les uns des autres ».

Ce n’est quand même pas très bon signe quant à l’état du lien social ...

Un ami me rappelait à l’ordre, justement, à propos de l’interprétation, peut-on dire, Foulcadio-Lacanienne pour ni confondre, ni recouvrir la société de discipline, de surveillance et de contrôle.

On passe ainsi de lieux disciplinaires situés, à une surveillance qui se déploie, puis à un contrôle qui circule.

Ce que ce livre offre est le mouvement d’aller observer les champs d’études et de recherches que cela suscite.

En tout cas, là aussi, on a l’intuition qu’autour des mots clés, tels que les « lieux », les « espaces » et le « temps », des registres en mouvement continu sont à déplier pour regarder de plus près l’existence des intervalles de subversions.

 

Ça arrive, au sens où ça advient. Il faut tout de même repérer qu’aujourd’hui plusieurs études sérieuses sont très critiques sur les systèmes vidéo déjà installés lors des précédents jeux olympiques et l’analyse quant à la persistance, la permanence de ces dispositifs et leurs conséquences. Des analyses scientifiques démontrent l’inefficacité quant aux espérances de préventions ou même de répressions, et ce, bien en écart des attentes préalables. Sur un registre assez similaire, il en ressort tout autant d’éloignements dans l’analyse d’après-coup des mesures établies lors du confinement durant la crise sanitariste. À suivre de près, quels apports sur la contamination, sur le soin, sur la vie et la mort ...

`

Dans cet ouvrage, on lit donc la nécessité de retrouver le courage de parler la fiction politique, qu’il s’agit de trouver et décider l’espace de le penser, l’analyser, le parler, et défixer la fixion de la science, soit l’illusion d’attraper un réel qu’on ne peut qu’approcher.

 

Lacan, lors de son intervention sur France Culture en 1973 précise que « le discours de la science a des conséquences irrespirables pour l’humanité ». Et face à ce contexte étouffant, la psychanalyse est le « poumon artificiel grâce à quoi on essaie d’assurer ce qu’il faut trouver de jouissance dans l’parler pour que l’histoire continue ». Il poursuit par une précision, une pépite, une boussole ; en prendre la graine : « On ne s’en est pas encore aperçu et c’est heureux parce que dans l’état d’insuffisance et de confusion où sont les analystes, le pouvoir politique aurait déjà mis la main dessus. Pauvres analystes, ce qui leur aurait ôté toute chance d’être ce qu’ils doivent être : compensatoires (…) ».  Il nous semble là être une question centrale : les psychanalystes en ont-ils encore suffisamment la mesure ?

 

La question de l’articulation entre amour/désir/jouissance redevient alors fondamentale. Se perdre dans ces jonctions c’est entrer dans l’illusion du discours courant qui refoule la morbidité essentielle de toute jouissance.

« Un bon smoothie frais à la fraise à l’aube avec un coach à domicile pour un planning yoga-jogging-pilates » : Le bonheur, à la bonne heure ! ... Pas un maux de plus, un séminaire à l’@ssociation est-il en préparation sur ces questions ...

 

Entre un constat pratique clinico-institutionnel et le fond de questionnement de ce livre, on pourrait mettre en interrogation : Qu’est-ce que les lieux d’enfermements révèlent très précisément de l’actualité de notre société et de ses choix politiques ? Mais au fond, pas uniquement ; les sujets concernés sont-ils « prisonniers politiques » et comme nous, « prisonniers du politique » ? Juste devant la porte du désir, asservi à un coicement, attestation prête en main, signée par nos soins ...

 

De l’écho-vide du Covid Il y aurait tellement à dire ...

Joseph Rouzel, en passant, ne s’en ai pas gardé ...

Associons là les mots d’un patient lors d’un groupe thérapeutique en prison qui évoquait le « confermement », autrement dit, le confinement d’enfermement dans l’enfermement ? Un enfermement au cube ... entre quatre murs.

De quoi ça cause la parole et l’écrit pour un « manuel de survie » ?

 

Par le tissage de quelques lettres, ici, s’il ne se présente par bribes et fragments nous sommes baignés par alternance, d’un récit avec ses ouvertures et percées, en passant donc par la poésie !

Et qu’est-ce que ces percées et trous ont produit ?

Comme le pose Joseph Rouzel de Platon à Edgard Morin, on touche la question de l’hubris, entendons la jouissance de l’époque antique à l’époque moderne qui participe à la dépossession de l’objet social et politique à l’endroit même où il était censé le créer ? Considérer avec certitude atteindre la démocratie serait l’endroit de son anéantissement ...

 

Si nous partons de la création des espaces, est-ce déjà invertir l’existant, est-ce par le « collectif » pour tenter une ouverture ? Et ainsi reprendre à notre compte les « communs coopératifs », sans être dupe. Nous pourrions là nous référer à Zizek pour se faire non-dupe de l’idéologie dominante qui n’est pas une vision positive d’un futur utopique, mais une sorte de « résignation par l’acceptation du monde ».

Nous faisons l’expérience dans nos pratiques institutionnelles que toute vision proposée d’un autre monde est vite considérée comme idéologique et s’en trouve rejetée, même si sans doute est-ce plutôt par résistance que par perversion.

Le discours qui domine opère en écrasant cet espoir et dénonce tout projet critique en affirmant qu’il ouvrira à une nouvelle horreur totalitaire. Pourrions-nous alors déplacer l’utopie à l’a-topie, comme le soulève par exemple Rancière, qu’on peut interpréter, comme un lieu « autre », que j’aime en reprenant ses mots appeler des « lieux occupés par des ouvriers poètes ». Ce lieu comme non-lieu, « entre-deux du conflit », travaille sans cesse le « monde commun ».

Ainsi pris dans le mouvement des discours, comment faire subversion par nos actes ?

La fabrication d’institutions comme « contre-institution » propose une forme de symbolisation du « commun » qui impose d’accueillir le « laissé pour compte ». On entend là le sujet, mais aussi la situation sociale, c’est-à-dire assumer que « n’importe qui » peut être et devrait être sujet du politique en tant qu’être parlant.

On peut alors demander à l’institution de se refonder avec l’existence de forces subjectives incluses dans ces créations de « contre-institutions » dynamiques et alternatives.

S’émanciper passe par une transformation subjective, mais aussi via la relation à l’espace public. Alors on travaille sur les bords, sur les marges, là où la politique est parfois devenue invisible.

C’est là un des fils majeurs de l’ouvrage ; « La lutte politique, c’est aussi la lutte pour l’appropriation des mots ». Et la psychanalyse nous apprend à ne pas céder sur ces mots pour ne pas céder sur nos actes.

 

Faire l’économie de la rencontre, et chercher à y placer du fonctionnel, du machinal, est-ce si nouveau ? Le problème est davantage issu de l’organisation politique, et donc le processus légal et administratif en cours pour l'accommoder d’une certaine obéissance généralisée.

 

On y vient.

On lit souvent que la poésie est un support de subversion, ce qui n’est pas sans interpeller. Nathalie Quintane rétorquait à Jacques Rancière et Éric Hazan qu’il est bien difficile de faire la révolution avec un stylo ...

C’est un point important dans le fil de l’énoncé, la fiction politique peut nous guider plutôt vers l’énonciation de l’imaginaire pour s’institue comme des ouvertures permanentes. Pour ce, se refuser à la langue nouvelle qui fait jouer et pulluler les objets du marché ; jusqu’à envoyer dans l’espaces des habitacles parfaitement habitables tel que Lacan nous le relève dans son interview par Granzotto.

Mais depuis la fin des années 60 on est passé des fusées à la Tesla. Voilà un petit symbole des débordements de jouissance que le discours capitaliste insère partout, sur simple demande de livraison. Pour l’illusion du « tout est possible » un roadster est envoyé flotter dans l’espace.

Sans aimer quelques analogies simplistes, un simple partage.

La Tesla qu’on pourrait désigner tel l’objet témoin qui passe du « Vroum vroum » au « Prout prout ».

Tesla gratifie régulièrement ses clients de ce qu'il appelle des Easter eggs, traductions littérales des oeufs de Pâques. En sommes, des mises à jour du logiciel de bord qui introduisent des fonctionnalités souvent humoristiques ou décalées pour les systèmes multimédias de ses fameuses voitures électriques. La dernière datant de 2/3 ans, où il s'agit de six sons reproduisant des flatulences que le conducteur peut déclencher en appuyant sur un bouton du volant ou en actionnant le clignotant. Mais ce n'est pas tout.

Un client s'est adressé directement à Elon Musk via Twitter pour lui demander d'ajouter une fonction à l’application mobile pour qu'il puisse déclencher à distance des petits pets lorsque sa femme prend le volant.

Réponse positive et enthousiaste de l’entreprenant patron ...

Tout un poème.

 

Ressaisissons-nous.

Pour reprendre, de la dénonciation à engager, mais non sans subversions pour créer des espaces par l’acte de creuser des trous !

 

Cet ouvrage déplie ses thèses par récits de pièce de vie qui touchent au désir, à ses bonds, rebonds, et rebondissements...

Revient là à la poésie.

 

Peut-on dire que la cure, entre-autres, nous y amène qu’on le veuille ou non, parce que son effet détraque un peu la loi du langage, nous fait vaciller comme au temps de l’infantile où le sens des mots voyage à l’instinct.

Le poète est un atopiste au sens où il travaille l’élasticité des impasses.

Atopie en tant qu’une utopie toujours en mouvement.

On ouvre.

Le poète, c’est celui qui ouvre au dit, du dit au dire par l’écrit, autrement dit, par l’inscription et sa trace pour passer de l’énoncé à l’énonciation.

Une expression de l’impression qui dit autre chose qu’un « voilà ce qui se passe sur la planète », mais un récit travaillé de l’histoire, de son hystoire, là avec un « y » pour aller vers l’acte du dire et de décision qui pousse au savoir sur le monde.

Psychose/Hystérie ; Lacan/Freud.

Pour chacun un sujet a poussé le désir de sa recherche éperdue.

À la folie.

Le génial des fous, leurs inventions si enseignantes.

Comment se fait-il que les cliniciens qui aiment tant les fous sont si concernés par le politique ?

Le fou est sur-talentueux pour révéler et maintenir un point, pour le proposer à ma façon un lien avec un propos du bouquin, je dirais : Rester boiteux dans l’ordre de marche du commandement ...

 

Ce parlêtre fou nous main-tient à observer comment un sujet peut se débrouiller lorsqu’on est « hors-discours » ...

Une rapide proposition d’une réflexion en cours ... :

Le psychotique propose un autre discours, celui de l’homme libre, selon Lacan, au sens d’une impossibilité d’entrer dans la circulation du lien social. Sur ce point il interroge spécifiquement la façon dont le parlêtre entre en relation avec les autres. Lacan le dit très bien dans un petit passage de son séminaire sur Les psychoses, à ma connaissance assez peu repris, en tout cas pour l’instant : Le fou est un « seigneur et maître dans la cité du discours, dans le champ social de la polis, dans lequel il fait son entrée comme un cheval de Troie - image qui nous montre la puissance et la menace pour l’ordre établi que représente le psychotique. »

Cette menace, évidemment imaginaire, évoque rapidement l’actualité médiatique généralisée et son contexte dit de « danger psychiatrique ».

Le psychotique entre dans la cité en soulignant l’inconsistance de l’Autre, il déchire les semblants par l’ironie, le cynisme et l’incrédulité. Il pulvérise ce qui « est », le connu, l’institué, il réfute le savoir de l’autre en dénonçant le semblant social d’une jouissance indomptable. Notre clinique nous apprend qu’il tente l’entrée dans un discours pour s’en tirer.

Il ne peut faire que ça, mais n’y parvient pas qui veut.

L’avons-nous suffisamment relevé, la manière dont le fou est traité est une prémisse révélatrice de ce qui peut nous attendre, les personnes les plus fragiles d’abord, et la suite ? ...

Quand ?

Heureusement on ne peut pas le dire parce qu’il y a un point de réel à assumer. Cependant on peut largement reprendre la phrase de Bonnafé évoquée pour le champ de la psychiatrie et entendre sa possible transposition grâce à l’ouvrage qui nous réunit aujourd’hui : « nous sommes passés de l’internement abusif à l’externement généralisé ».

Cela se passe de commentaire.

 

Pour conclure, et toujours provisoirement.

Si la planète est un « camp », qu’en est-il de la « prison » ou des « centres de rétentions » ?

Et là le poids des mots et leur représentation soutiennent une gravité très actuelle.

Le poids des mots, la force de la langue.

La puissance du dire.

Un désir à la lettre.

Une question nous empêtre.

 

Reste à voir ce qui nous fait jouir de l’impossible dont on se plaint, et sa question symptôme, on y revient, est souvent : « Comment faire ?! »

Eh bien continuer, à quelques-uns tenir, tenir debout, du un par un au collectif, du singulier au pluriel, sans cesse.

Malgré, c’est-à-dire grâce à la dissemblance de tous.

Ensuite ?

Recommencer, continuer.

Et là la question que relève et soutient l’auteur dans l’articulation à la pensée d’Edgard Morin n’est pas sans rappeler le récit même d’une interprétation de Lacan à une patiente, on reformule, à savoir : Trouver la vigueur d’un discours qui ne nous laisse pas seul à être seul parmi les autres.

 

Ainsi, ce livre soulève les enjeux des différents scansions des temps de la vie et de ses traversées.

Passages de désirs.

Est-ce toujours dans l’après-coup qu’on peut les nommer et le repérer ainsi ?

Des danses de combat jaillissent sur les décombres, des craquelures aux évasions.

 

Trouer, creuser, est-ce que ça suffit ?

Création d’espaces autres, bâtir des lieux, des collectifs, des oasis, des îlots, mais surtout dans un second temps insister d’y associer des ponts et des circulations.

 

Joseph Rouzel cite Paul Celan pour rattacher l’idée que « La parole casse le fil » ; c’est sur un fond d’absence que le chemin de l’impossible nous rend vivant.

« impossible » et « chemin » sont à considérer comme des signifiants maîtres du réseau sémantique des restes de l’après-coup de la cure.

Je m’y colle : sur le lit de l’impossible, chemin faisant ...

 

Tel que le dit Lacan dans son interview de l’Express en 1957, assez peu citée :

il s’agit de constituer « une armée d’ouvriers pour moissonner ».

 

Nous ; ces petits canaris qui annoncent à petits cris le coup de grisou en cours.

Espérons-nous suffisamment près des sujets du social qui travaille et enseignés par eux.

Un peu alors déshébétés, non dupes de notre liberté de désobéir, humbles lanceurs d’alerte dans l’obscurité du monde, tenir sur l’acte du dire.

 

Certainement, un labeur éreintant sur un champ peu défriché, mais prêts à l’ensemencement où l’humus est à travailler pour encore essaimer quelques graines désirantes.

 

Pour rejoindre et terminer sur la cause de l’ouvrage, il en va de gagner notre barque précaire pour rejoindre le centre de la tempête ;

Et après ?

On verra.

 

Sébastien Firpi, psychologue clinicien à Marseille

 

 

 

3 mars 2023

La folie circulaire

 

Avec la psychose maniaco dépressive (PMD) – appelée antérieurement « folie à double forme » ou le plus souvent « folie circulaire, et aujourd’hui trouble bipolaire » -, et si l’on se limite à la description factuelle et clinique du trouble thymique, nous n’en saurons pas grand-chose. Pour passer du « quoi ? » au « pourquoi ? », il va falloir consentir à faire un tour du côté des structures psychiques, ce qui aidera à la compréhension de l’étiologie et de la clinique spécifique à la PMD. Si l’alternance manie/mélancolie est consubstantielle à ce syndrome, elle peut aussi être un écran de fumée à la compréhension des enjeux psychiques, d’où l’importance pour le thérapeute de prendre de la hauteur.

En visitant trois grands auteurs de la psychanalyse, K. Abraham, S. Freud, et J. Lacan, des psychanalystes impliqués dans la compréhension de la bipolarité psychique, nous allons pouvoir appréhender cette psychose d’un point de vue structural, et le premier enjeu épistémo-clinique consistera à identifier le lien entre manie et mélancolie, sachant que la PMD est une entité nosographique unique. Aborder celle-ci par la structure, c’est d’abord repérer la position du sujet par rapport au langage. Il faut dire que le discours maniaque évoque souvent une métonymie infinie et ludique des signifiants – jeux de mots et calembours -, par laquelle les oppositions symboliques semblent voler en éclat.

Par cet exemple tiré de la clinique, un sujet en phase maniaque proclamera dans le même élan verbal qu’il est mort mais aussi immortel, tout en implorant le psychiste de le soulager en acceptant de le tuer ! Nous rencontrons aussi une opposition entre grand et petit, le sujet migrant d’un délire de petitesse et d’indignité (« je ne suis rien ») à la conviction mégalomaniaque qu’il est un dieu sur terre (« je suis tout ») et qu’il détient même la gnose !

Dans la mélancolie, le sujet peut refuser d’abandonner sa position libidinale, incapable de se séparer de l’objet d’amour. Par le déni, il se détournera de la réalité afin de garder l’objet par une psychose hallucinatoire de désir : l’amentia. L’amentia, décrite par le psychiatre Théodor Meynert (1833-1892) – Freud avait suivi son enseignement – fut pour le jeune Freud le premier modèle de la psychose par lequel le Moi rejette la représentation insupportable (déni de la réalité) et se comporte comme si cette représentation n’était jamais arrivée à lui. Le sujet en proie à l’amentia, hallucinera son désir de l’objet. L’amentia, très proche du rêve éveillé constitue un accomplissement de souhait, elle est au service du désir.

 Ce sont de tels délires, et la rupture avec la réalité factuelle, qui font du trouble bipolaire avéré une véritable psychose dite maniaco dépressive ; et le sujet qui en est la proie devra à la fois être protégé des dangers encourus par la toute-puissance maniaque, ainsi que par les conséquences possibles de la conscientisation d’une vie indigne que nous rencontrons dans la crise mélancolique.

Dans la PMD, il y a un primat de l’objet @[1], l’objet cause du désir. La PMD est un syndrome objectal.  La dépréciation de soi est pathognomonique de la mélancolie où le sujet se vivra comme un objet indigne et infâme rejeté par tous. Dans cette situation où les risques de suicide sont très importants, l’hospitalisation en milieu protégé est souhaitable.

En phase ultra maniaque, le sujet affranchi d’un Surmoi déjà faible, et semblant ignorer la castration, se mettra en quête d’un objet capable de lui procurer un « plus de jouir » mortifère, un « au-delà du principe de plaisir » (Freud 1920) et, par ses actes délirants et souvent délictueux – nombreuse transgressions sociales[2]-, il se comportera à l’instar de l’objet d’infamie du mélancolique, ce qui fait que le sujet en arrivera au même point, qu’il soit en phase maniaque ou mélancolique. Il semble que la manie soit fondée des mêmes contenus que la mélancolie, et qu’elle constitue un moyen de la fuir – et vice versa - ; c’est ma conviction profonde étayée par mon expérience de la PMD.[3]

Le passage en mélancolie sera alors la solution pour sortir d’une phase ultra maniaque dangereuse pour le sujet qui ne dort plus et qui ignore la castration et le renoncement pulsionnel. Cela lui évitera l’ordalie et le flirt dangereux avec les limites. Cela lui évitera aussi des conduites délictueuses avec ses répercussions sociales. A contrario, le passage en manie ou -mieux- en hypomanie[4] aidera le mélancolique à sortir de son apathie et de ses reproches d’auto-accusation, la phase maniaque le remettra en mouvement et lui évitera les tentations d’autolyse.

J’ai rencontré Julien dans le cadre d’une mission comme superviseur d’équipe dans une Maison d’accueil spécialisé (MAS) qui accueille des adultes autistes. Au bout d’un certain temps, nous avons sympathisé, il a quarante ans, éducateur spécialisé, et j’ai accepté de le rencontrer à plusieurs reprises en dehors des sessions de supervision car il se sent très seul et a besoin de parler. En outre, je vais apprendre de sa bouche qu’il souffre d’une dépression récurrente, bien que stabilisée par un traitement. Son état mélancolique chronique qui s’origine d’une rupture amoureuse fait partie, m’a-t-il dit, de sa personnalité et n’obère pas une vie socioprofessionnelle. Il a un traitement antidépresseur sérotoninergique[5]prescrit par un psychiatre qu’il rencontre deux fois par mois. Son état est stable et jusqu’à ce week-end à Annecy qu’il va me raconter, il est selon la nosographie un dépressif unipolaire.

Il me raconte la grave crise qu’il a vécu lors d’un week-end de Pentecôte, chez des amis, au bord du Lac d’Annecy. Il fait beau, l’ambiance est festive, le rosé coule à flot et « ça fume à tout va ». Il y a de jolies filles, dont une qui va devenir malgré elle son objet de désir, et cela jusqu’à l’obsession érotomane. Elle s’appelle Nadia. Pendant trois jours, celui qui est d’ordinaire considéré comme un taiseux ne cessera pas de parler, de pérorer, de réciter des poèmes ; il est très excité intellectuellement, monopolise l’attention de tous, multiplie les calembours et les mots d’esprit, et surtout, la pauvre Nadia qui n’a rien demandé va être l’objet de ses multiples tentatives de séduction. Il lui manifeste une forme de « drague » assez singulière, et si sa présence est très prégnante, il n’est jamais vulgaire ni graveleux, c’est plutôt un doux envahisseur, féministe et cultivé. Ne tenant pas en place, il va plusieurs fois en ville, la première fois il revient avec un énorme bouquet de roses qu’il offre à Nadia, plutôt gênée.

Ses élans amoureux évoquent une sublimation démesurée. Il déclame à tue-tête des textes de Léo Ferré, il boit sans cesse, fume, et si ses amis s’en amusent au début, ils finissent par s’inquiéter. Il repart en ville, revient avec des boissons et de la nourriture, et prodigue, il refuse d’être remboursé par les autres. Nadia commence à se lasser des assauts libidineux de Julien. C’est tout juste s’il l’a laissé dormir la première nuit où il lui a tenu des propos extravagants sur un amour unique, inconditionnel, cosmique et absolu, alors qu’elle est venue pour s’amuser avec les amis qu’ils ont en commun, pas pour être le réceptacle de la libido d’un autre décidément envahissant, bien que sympathique et touchant, alors elle le prend en pitié et ne le rejette pas, ce qui ne fait qu’encourager Julien dans ses tentatives de séduction.

Julien ne dormira pas pendant 48 heures, et le troisième soir, titubant de fatigue et d’alcool, tout en restant très excité par les conversations, il finira par abdiquer de sa jouissance et ira se coucher pour s’endormir très vite d’un sommeil agité. Fin de l’excitation.

Le lendemain, après une courte nuit de sommeil, il se lève. Il n’a plus aucune énergie et « la gueule de bois », il se sent triste et angoissé – d’une angoisse sans objet dira-t-il – Il culpabilise par rapport aux jours précédents, il a honte de sa conduite, il tient des propos suicidaires, se couvre de reproches, se disqualifie aux yeux des autres, s’auto-flagelle et va jusqu’à proclamer qu’il va se jeter du Pont de la Caille[6] afin d’en finir avec cette comédie qu’est sa vie, laquelle ne vaut décidément rien tant il se sent seul et mal-aimé. Il acceptera de se faire accompagner aux urgences de l’hôpital d’Annecy où il sera pris en charge par la psychiatrie de liaison. Il sera hospitalisé en USIP[7] et y restera pendant plusieurs semaines.

Ainsi, Julien, dépressif chronique unipolaire vivra sa première crise maniaque, qui sera elle-même jugulée par une entrée en mélancolie ; et cette disjonction opérera pendant son sommeil. Je l’ai revu plusieurs fois, il est maintenant stabilisé, racontant qu’il vit une forme de mélancolie active ponctuée de périodes hypomaniaques plutôt créatrices et agréables. Il n’a pas connu de nouvelles crises maniaques, lesquelles, à chaque fois, étaient générées par un excès d’alcool et de produites stupéfiants.

La PMD serait donc autorégulatrice, c’est mon hypothèse[8], celle du mal par le mal. Dans la phase maniaque, on peut dire métaphoriquement que le sujet a l’objet @ dans la poche. Il est dans l’illusion de la toute-puissance et les semblants d’objets « cause du désir » semblent à la portée de sa jouissance mortifère, illusion du miraginaire. Tout semble possible et les limitations castratrices sont niées.

 Quant à la phase mélancolique, elle survient le plus souvent à l’acmé de la crise maniaque, fonctionnant un peu comme un thermostat psychique. Le sujet « revient sur terre », dans un monde qui d’un coup ne présente plus aucun attrait, c’est la panne de désir par laquelle le sujet se conscientise que l’objet perdu est depuis toujours perdu et cet état désespérant est éligible aux urgences psychiatriques, le sujet est en grave danger ! ; comme l’écrivit Freud : « L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le Moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l’objet abandonné »[9]. Comme l’écrivait Joseph Rouzel[10] : « L’expérience clinique nous enseigne que chez le mélancolique, dans le moment de l’effondrement, lorsque l’Autre qui fait appui au sujet se dérobe après l’excitation, le risque de suicide est majeur ».

L’ombre de l’objet perdu à jamais -et depuis toujours- le persécute et tend à le mener vers l’inanimé de la pulsion de mort. A contrario et comme nous l’avons vu, la phase maniaque sera une tentative de résolution du deuil (de l’objet perdu) mélancolique.

En outre, à ces crises cycliques plus ou moins longues – qu’elles soient maniaques ou mélancoliques – il existe une issue paranoïaque souvent observée en clinique psychiatrique : le sujet, réduit à un déchet pendant sa crise mélancolique, objet infâme indigne de vivre, va se révolter, en accusant l’Autre (ou l’autre de l’alter ego) de vouloir le réduire à cet objet d’infamie, et qu’il a décidé de faire face à cet ostracisme et de ne pas se laisser faire.  Ce sursaut d’allure paranoïaque peut aussi se rencontrer à l’apogée d’une phase maniaque. Ainsi cette renarcissisation paranoïaque constituera une solution psychique élégante - le sujet sauve son estime de soi – pour un rétablissement parfois durable, d’autant plus que le délire paranoïaque est de plus en plus socialement acceptable dans cette société du divin marché[11], fondée sur la réussite individuelle et la compétition.

Pour le psychiste d’inspiration psychanalytique, la dimension transférentielle sera ici essentielle, car il va s’agir d’accueillir cette solution, fut-elle psychotique. Dans la paranoïa, le Moi tient bon, le délire est structuré, cohérent, organisé et logique. Socialement viable est la paranoïa, compte-tenu de l’état de la société et du malaise dans la civilisation.

Quant à la PMD – ou trouble bipolaire- elle ne peut se réduire à une perturbation thymique, elle constitue une façon d’être au monde singulière, correspondant à des fantasmes d’objets, à des façons de penser et d’agir spécifiques.

Un détour par nos aînés en psychanalyse est incontournable.

Karl Abraham (1877-1925) était psychiatre, il se forma à la psychiatrie à la Clinique du Burgholzli sous la direction de Bleuler, grand maître de la psychiatrie à cette époque. Abraham s’intéressa à la PMD[12]et énonça quelques idées originales quant à sa compréhension. Il souligna le lien entre la pathologie bipolaire et le premier objet oral. Il faut rappeler que l’oralité maniaque se caractérise par un appétit de tout voir, tout entendre, tous embrasser, tout vivre ; délire de complétude passant par des fantasmes d’incorporation cannibalique.

En outre, dans une phase mélancolique, la libido du sujet va régresser, et, au niveau inconscient, le mélancolique va éprouver un désir d’incorporation vis-à-vis de l’objet perdu. Il veut avaler l’objet, et en l’incorporant en lui, il croit le détruire, alors que l’objet envahit son Moi, se fond en lui et le parasite. Abraham a évoqué le mauvais objet du mélancolique, il est mauvais parce qu’il a choisi un autre plutôt que le sujet. Ces ressentiments négatifs et empreints le plus souvent du délire de jalousie ne se réduisent pas à une haine de l’Autre qui a envahi son Moi, cet Autre intrusif logé en lui ; il y a sous-jacente, une idée de vengeance à l’égard du mauvais objet, parfois associé au fantasme de la mauvais mère. L’angoisse va s’associer à ces reproches et s’amalgamer à une jouissance mortifère. Il y a une jouissance mélancolique qui peut mener au suicide afin que se taise enfin cet Autre menaçant. Le sujet mettra aussi fin à ses jours pour se venger, en tuant l’objet incorporé qui fait Autre en lui. C’est ce qui peut arriver lors de cette catastrophe existentielle de la psychose : lorsque narcissisme et estime de soi s’écroulent. C’est ce que le psychiatre et psychanalyste Jean Oury appelait le point d’horreur du mélancolique[13].

Dans son ouvrage de 1915, « Deuil et mélancolie », Freud fait un rapprochement pertinent entre la clinique du deuil et celle de la mélancolie, tout en identifiant ses différences. Si le mélancolique a perdu l’estime de soi, ce n’est pas le cas dans le deuil classique ; en outre, dans le deuil, le sujet va progressivement retirer son investissement de l’objet perdu et se dirigera vers d’autres objets. C’est ce que l’on nomme un travail de deuil réussi.

Le mélancolique ayant perdu son objet d’amour prolongera le processus de deuil par une perte de l’estime de soi, par des autos-reproches où il se sent responsable de cette perte, on peut dire que le Moi est attaqué. Alors, non seulement il a perdu son objet libidinal, mais aussi son Moi qui lui est devenu étranger et détestable. De ce fait, le Moi est clivé entre une partie occupée par l’objet perdu et son deuil éternel (identification), et une partie accusatrice, vecteur de dépréciation et d’auto-reproches, petite voix intérieure désagréable,[14] instance critique d’un Surmoi féroce qui reprochera son infidélité et son abandon à la partie occupée par l’objet perdu : clivage psychotique.

Ainsi, le mélancolique se sent perdu, dans la déréliction abandonnique, à cause de la perte de l’objet (perdu) et c’est en tant qu’objet lui-même perdu qu’il va s’identifier à lui. Cette identification est narcissique et la PMD est -selon Freud- à classer dans les psychonévroses narcissiques, par opposition aux psychonévroses de transfert, telle que la névrose obsessionnelle. Ce même Freud identifiera trois catégories nosographiques : la névrose de transfert qui correspond à un conflit psychique entre le Moi et le « ça », la névrose narcissique qui est conflit entre le Moi et le Surmoi, et la psychose dans l’opposition entre le Moi et la réalité du monde extérieur. La PMD est un syndrome objectal et narcissique. Voyons ce qu’en dit Lacan. Dans l’approche clinique de la PMD, le « premier Lacan », psychiatre hospitalier d’orientation freudienne, ne divergera pas avec le père fondateur. Il fera sienne la théorie de l’objet perdu et identifiera plus tard, en 1956, dans le Séminaire IV sur « La relation d’objet »[15], les différentes catégories du manque : privation, frustration et castration[16].

A ce manque du sujet - ce manque à être- va correspondre une quête de satisfaction -déni face à l’inconscient- qui pourra mener, comme nous l’avons vu, jusqu’à la psychose hallucinatoire de désir – l’amentia – pour dénier la perte de l’objet. Le sujet va s’identifier à l’objet en tant que lui-même se vit comme un objet perdu et abandonné ; et si le mélancolique incarne l’objet perdu, à contrario, le maniaque s’efforcera de ne surtout pas l’être, il croit avoir l’objet dans la poche…le modèle théorique de l’objet @ se dessine à l’horizon…

Dans la crise maniaque avérée (et non l’hypomanie), l’Autre semble mis à l’écart alors qu’il jouit de son corps et le plonge dans une excitation démesurée, qui se montrera par la monomanie langagière, une métonymie infinie des signifiants, des associations libres de toute entrave par lesquelles le sujet « passe du coq à l’âne », la fuite idéelle, l’éparpillement et l’illogisme, l’hyper mobilité euphorique et enfin, le langage sans adresse qui ne représente pas le sujet. Il y a là un grave défaut du symbolique, consubstantiel à la psychose. La plongée dans la mélancolie comme solution à la crise maniaque sera tout autant morbide, avec des modalités différentes. Dans la béance laissé par l’objet perdu, le maniaque et le mélancolique ne font plus qu’un, même si chaque partie du Moi veut exclure l’autre. Ainsi, s’il n’y a pas de jouissance de l’Autre comme dans la névrose, c’est plutôt l’Autre qui jouit de lui. Dans les deux composantes de ce syndrome, Thanatos fait tronc commun car cette scène psychique, qu’elle soit mélancolique ou maniaque se déroule toujours dans cet « au-delà du principe de plaisir ».[17]

Les psychanalystes qui ne reculent pas face à la psychose (on ne s’ennuie jamais avec un maniaco-dépressif !) sont ceux qui ont accepté de ne pas savoir afin de se laisser enseigner par les psychotiques. Il y a beaucoup à apprendre de la folie. Le psychiste devra se mettre dans une position d’écoute active des signifiants du sujet à travers ses dires. Pour se faire, il faut être dans un état de disponibilité totale. C’est un travail de longue haleine, difficile et patient qui devra être complété par un traitement psychopharmacologique de confort.[18] Je ne suis pas opposé à ces molécules quand elles sont utilisées à bon escient et non comme camisoles chimiques, comme encore trop souvent.

Alors, à l’issue de cette thérapie plurielle adviendra un autre réel, celui d’un désir de vivre qui ne sera pas barré par l’ombre portée de l’objet perdu, et ce dernier sera congédié comme dans le deuil classique. Le sujet pourra passer à autre chose, passant du point d’horreur au point d’aurore.

Serge DIDELET, le 2/03/2023

 

 

 



[1]  Dans tous mes ouvrages, l’objet « a » est symbolisé par l’arobase (@). Il a le statut d’un signe car tout seul il représente quelque chose pour quelqu’un, alors que le signifiant ne représente le sujet que pour un autre signifiant. Le choix de l’arobase pour représenter l’objet cause du désir nous vient des travaux de Jeanne Lafont, transmis par Joseph Rouzel, psychanalyste à l’origine de l’association l’@Psychanalyse, à laquelle je suis affilié.

 

[2] A ce sujet, lire « L’intranquille » de Gérard Garouste, L’iconoclaste Paris 2009.

 

[3] Intuition de praticien psychiste ne prétendant pas à la scientificité.

 

[4] L’hypomanie est la version légère de la manie. Il s’agit d’un état de grâce stimulant où la vie semble valoir d’être vécue, c’est une manie tempérée, socialement acceptable. Je la qualifierai de « sublimation exacerbée ».

[5] Des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine.

 

[6] Le Pont de la Caille, situé en Haute Savoie est un pont suspendu d’une hauteur de 190 mètres.

 

[7] Unité de Soins Intensifs Psychiatriques (USIP).

 

[8] Cette hypothèse issue de mon expérience ne pourrait être valide qu’après une investigation poussée auprès d’un échantillonnage suffisamment signifiant de patients atteints de PMD. J’aimerais bien savoir ce qu’en pensent d’autres praticiens-psychistes. Comme l’écrivait en 2013 Joseph Rouzel : « En psychanalyse, il n’est pas de théorie qui ne soit tirée de sa propre expérience. D’où parfois les divergences, les dissonances. Ce qui fait de la psychanalyse une pratique soutenue par un discours inachevé et inachevable, toujours ouvert ». (J. Rouzel, « La prise en compte des psychoses dans le travail éducatif », ERES 2013).

 

[9] S. Freud, « Deuil et mélancolie » in « Métapsychologie », Gallimard 1968.

 

[10] J. Rouzel, « La folie douce », ERES 2018.

 

[11] Dany Robert Dufour, « Le divin marché », Denoël 2007.

[12] K. Abraham, « Préliminaires à l’investigation et au traitement psychanalytique de la folie maniaco dépressive et des états voisins », Œuvres complètes tome 1, Payot 1965.

 

[13] En y opposant le point d’aurore, lorsqu’advient le sujet.

[14] Une petite voix qui peut être source d’hallucinations auditives.

 

[15] J. Lacan, « La relation d’objet » (Séminaire IV), Editions du Seuil 1994.

 

[16] La frustration comme manque imaginaire d’un objet réel, la privation comme manque réel d’un objet symbolique, la castration comme manque symbolique d’un objet imaginaire.

[17] S Freud, « Au-delà du principe de plaisir » in « Essais de psychanalyse », Payot 1981.

 

[18] D’où la nécessité d’une thérapie transdisciplinaire. Le psychanalyste ne doit pas être seul dans la thérapie d’un sujet psychotique. L’idéal étant « la constellation transférentielle », à l’instar de la psychothérapie institutionnelle et de ses applications cliniques.

6 février 2023

Psychanalyse, thérapies d'inspiration analytique et supervision clinique institutionnelle

Psychanalyste :

Je vous accueille sur rendez-vous au 23 rue de Savoie (2ème étage) à Sallanches (74720).

En cas d’urgence, je m’arrangerai pour vous recevoir dans les 24 heures…

Contact : 06.16.13.26.48.

 

 Superviseur certifié :

J’interviens sur site, à votre demande, pour :

-         Supervision clinique institutionnelle.

-         Analyse des pratiques professionnelles.

-         Groupes de parole.

-         Analyse institutionnelle.

-         Formations.

Dans le champ social, médico-social, et sanitaire…

Mon cadre de référence est la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse.

Quelques références :

MDEF 74, IRTESS de Bourgogne, IREIS d’Annecy, service petite enfance de Passy, Centre Hospitalier Alpes -Léman (CHAL), Hôpitaux du pays du mont blanc (supervision médecine et pédiatrie), Secteur psychiatrique de l’est vaudois (Suisse), ADMR, ESAT de Sallanches, EHPAD(S) de : Bonneville, Cluses, Ambilly, Marnaz, Megève, LVA « La bergeronnette » (71), CEMEA Ile de France…

 

Contact : 06.16.13.26.48. /serge.didelet@wanadoo.fr

 

22 octobre 2022

Séminaire de psychothérapie institutionnelle en juin 2023

« La psychothérapie institutionnelle, c’est la psychiatrie ! »

 L’association l’@Psychanalyse et le Groupe Psychanalytique de Sallanches (G.P.S.) organisent le samedi 10 juin 2023 un séminaire de psychothérapie institutionnelle, au CMP de Sallanches, 127 rue Cancellieri 74700 Sallanches.

Pour tous renseignements, s’adresser à Serge Didelet, psychanalyste à Sallanches, et superviseur d’équipes au 06.16.13.26.48. / serge.didelet@wanadoo.fr

Horaires : 9h-12h/14h-17h

Participation financière : 50 euros pour la journée.

Contenus : exposés suivis de discussions à propos de : la pathoplastie, les constellations transférentielles, la double aliénation, le collectif…

Public concerné : idéalement, toute personne qui travaille en psychiatrie publique ou privée, et tous ceux qui se sentent concernés par la psychiatrie, qu’ils soient professionnels ou non.

L’effectif maximum sera de douze personnes pour garantir la qualité des échanges.

Attestations de présence et factures peuvent être délivrées.

11 octobre 2022

Une praxis de la psychanalyse

Ma praxis analytique (« Qu’est-ce que je fous là ? »)

 

Ce texte est la transcription de mon intervention au colloque de l’association l’@Psychanalyse les 8 et 9 octobre 2022 à Montpellier.

 

Rien dans ma trajectoire vitale ne me prédisposait à devenir psychanalyste. Je savais qu’il y avait un continent psychique puisqu’il me jouait régulièrement des tours, mais mes centres d’intérêt – et cela jusqu’au début des années 2000 – furent durablement la psychosociologie des groupes et des organisations, la sociologie clinique de Vincent De Gaulejac, l’approche transdisciplinaire du philosophe et sociologue Saul Karsz, l’analyse institutionnelle de René Lourau, et la révolution culturelle du temps libre de Joffre Dumazedier.

En d’autres termes, je marchais sur une jambe, j’étais unijambiste, j’étais à « cloche-pied », animé essentiellement par la jambe marxiste si l’on veut faire un clin d’œil à la métaphore tosquellienne sur la double détermination. Je travaillais dans le social, je réfléchissais sur le social, ignorant la psychogenèse et les déterminations psychiques, comme si j’avais peur de ce que je percevais imaginairement comme du nombrilisme complaisant et narcissique.

Pourtant, à l’aube des années 2000, j’ai vécu un glissement épistémologique par lequel je suis passé des groupes humains, et de ce qui s’y passe entre ses membres, à l’étude assidue et plurielle d’une métapsychologie freudolacanienne, et dans ce même élan, j’ai compris la double détermination de l’homme, cet assujettissement aux déterminismes psychiques et sociaux, ce que le psychiatre Jean Oury appelait la double aliénation.

Il faut dire que mon changement de milieu professionnel fut moteur dans cette mutation, et c’est ce qui généra l’assomption de ce nouveau désir qui ne va pas de soi : devenir analyste ! Après douze années de purgatoire à diriger divers établissements sociaux-éducatifs, je me suis immergé dans ce nouveau terrain, mettant les mains dans le cambouis du social pur et dur, celui de la misère du monde ; en travaillant dans le champ de la Protection de l’enfance, par un retour à la base comme éducateur dans un internat éducatif accueillant à plein temps des enfants abandonnés et abandonniques, parfois très carencés et déjà abimés par les vicissitudes de la vie, et certains victimes de violence familiale.

En même temps, et à 50 ans, j’entrais dans le continent analytique sans m’en rendre vraiment compte, animé par une immense soif de savoir, une grande capacité de travail, lisant les auteurs, écrivant des situations cliniques, participant à des cartels, fréquentant divers groupes de lecture, et assistant à des présentations de malades en milieu psychiatrique. J’apprenais aussi beaucoup des enfants que je côtoyais quotidiennement, j’ai même vécu un suivi au long cours avec un enfant étiqueté psychotique. Ce fut mon socle clinique.

Et puis il y a eu mes six années d’analyse avec Pierre Hattermann, cet ami disparu, mort des conséquences de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Je vous invite à lire mon texte, « l’ombre portée du disparu », vous le trouverez dans le livre « Une praxis de la psychanalyse » (pages 29 à 37), il s’agit d’un témoignage par lequel je lui rends un hommage mérité, je sais ce que je lui dois. Enfin, vous conviendrez avec moi que ce n’est pas ainsi que l’on achève son analyse, et, face à un lien transférentiel qui n’est pas dénoué, je cours le risque d’un transfert éternel. Depuis 2016, je m’en arrange.

Fin 2011, j’ai 57 ans et je romps définitivement avec le salariat, quand c’est insupportable on ne supporte plus ! Je suis animé d’un désir, celui d’intervenir sur site comme superviseur d’équipes, passant ainsi d’une hétéronomie mortifère à une autonomie libératrice. Ainsi, depuis 2012, j’ai animé des centaines de groupes. En 2015, un ami psychanalyste m’offre la possibilité de travailler à son cabinet quelques heures par semaine. C’est ainsi que j’ai accueilli mon premier « patient ». Je n’aime pas trop la terminologie de « patient » qui s’origine du monde médical, alors que je ne suis pas médecin. Le terme d’analysant est plus précis, bien que seuls certains sujets puissent y prétendre. Cela signifie que la personne est active, actrice-sujet de sa cure analytique, donc ça ne concerne pas tout le monde. Alors, faute de mieux, à l’instar de la plupart de mes pairs, j’utilise le mot « patient » un peu à regret, même si, je sais que dans certaines conditions, les séances peuvent être facteurs de soins et de réparation, comme quoi il y a une parole qui soigne.

Toutes ces considérations me renvoient à la question de la légitimité qui continuera toujours à me titiller, et c’est très bien ainsi. Il ne faut pas se prendre pour le SS, le sujet sachant ! J’ai mis du temps à oser dire que j’étais psychanalyste. A l’instar de J.B. Pontalis, je craignais l’imposture. Si j’appréciais beaucoup la formule lapidaire de Lacan comme quoi « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même », édulcoré peu de temps après par le rajout des « quelques autres », le jour où j’ai reçu ma première patiente en 2015, je ne m’y sentais pas trop autorisé et encore moins par moi-même. Il faut rappeler que l’analysant voulant devenir analyste est seul face à l’assomption de ce désir : devenir analyste, et cette idée s’est imposée à lui comme une évidence, comme elle s’est imposée à moi, pris dans l’imbroglio du transfert des mômes.

J’avais passé six années sur le divan, deux à trois fois par semaine, selon mes finances, et huit années à fréquenter des groupes de travail, à lire les auteurs, et si c’est mon analyste et quelques autres professionnels qui m’ont mis à cette place, puis les « patients » que j’ai reçus, et certains au long cours, cela ne donne pourtant pas une autorisation d’exercer, mais qui pourrait en donner une ? Certainement pas l’Etat, qui ne pourrait avec légitimité légiférer les modalités de cette relation si singulière ; et le singulier c’est ce qui fait exception. Peut-on, doit-t ’on légiférer l’exception ? Alors, c’est pour cela que s’il y a des diplômes en psychanalyse - et mêmes des doctorats-, il n’existe pas de diplômes de psychanalystes.

Voilà qui renvoie à l’idée de « la passe », cette dernière dévoyée par les post-lacaniens de la Doxa, car elle ne se réduit plus qu’à une commission d’agrément par lequel un jury d’experts se prenant pour le grand Autre, vérifie si le passant connait bien son catéchisme lacanien. Je caricature à peine ! Il existe d’autres façons de faire « passe ». Le passant, dans ce processus qui le mènera métaphoriquement du divan au fauteuil, pourrait organiser un séminaire ou un cartel, écrire des articles ou des livres, intervenir dans des colloques, diverses manières d’une mise à l’épreuve de ce que le « je » du « passant » peut engager dans l’acte de transmission de la praxis psychanalytique. Si peu à peu, j’ai accepté de me présenter comme psychanalyste, sur ma plaque il est indiqué « psychanalyse » et non « psychanalyste », pirouette empruntée à Joseph Rouzel, afin de détourner ce sentiment d’imposture un peu dérangeant. Pourtant, je sais maintenant que là où il y a de la psychanalyse, il y a un psychanalyste, c’est-à-dire un « sujet supposé savoir » et des transferts entrelacés, celui de l’analysant, capable de vous appeler en pleine nuit de désarroi, et celui de l’analyste, appelé maladroitement contre transfert, un transfert que l’analyste ne saurait ignorer, car, qu’il le veuille ou non, il est agi par lui.

Evoquons les séances : un observateur invisible dirait qu’il s’agit de conversations où l’on parle de tout, ça pourrait même être ennuyeux, enfin, la parole est libre et sans entraves. C’est ce que Tosquelles appelait la déconniatrie : « Racontez tout ce qui vous passe par la tête ! ». Dans l’espace clos et secret du cabinet de psychanalyse, une parole duelle se déploie à travers le temps des séances, de 45 minutes à une heure, c’est ma temporalité, en synergie avec ce hors-temps de l’inconscient entre deux séances par lequel le travail continue, à l’insu des deux protagonistes qui vont certainement rêver. Le sujet-analysant peut découvrir peu à peu ce qui l’a entravé et déterminé, lui permettant peut- être pour la première fois de parler en son nom propre, de dire « je », c’est ce que Lacan appelait « l’effet-sujet » ; quand le sujet de l’inconscient rencontre enfin l’étranger qui vit en lui

La psychanalyse est une praxis, ce mouvement itératif entre le vécu, la pratique et la pensée. La praxis, c’est l’action, c’est faire, et ce faisant se faire ; c’est la pratique théorique de Louis Althusser, et, selon Lacan, ce qui permet de transformer le réel en symbolique. La psychanalyse est un champ pluriel marqué par les divisions, les replis identitaires, le patriotisme d’organisation, et certaines associations psychanalytiques sont de véritables sectes vivant dans le fantasme de la forteresse assiégée avec des regroupements annuels à huis clos !

Parlons de la formation du psychanalyste, faite des formations de l’inconscient. Outre ma cure analytique, dans mon apprentissage de psychiste, j’ai puisé dans diverses sources, et cet éclectisme m’a permis de faire des choix et de ne pas m’enfermer dans une pensée unique. Après quelques années de fréquentations de diverses instances de « l’Ecole de la Cause », je suis redevenu un électron libre, ayant peu de goût pour le culte des chefs et les systèmes pyramidaux. J’y ai fait cependant de très bonnes rencontres et j’ai découvert le monde de Lacan en lisant plusieurs de ses séminaires, accompagné de pairs et d’un « plus-un ».

Adhérer à l’@Psychanalyse, c’était pour moi la possibilité d’une inscription symbolique auprès de personnes avec qui j’avais des affinités, et la création de cette association est ce que j’attendais de ses fondateurs après l’expérience éphémère de « Psychanalyse sans frontières ». Une association est un dispositif pour soutenir un certain rapport à la psychanalyse. Être membre de l’assoce, c’est pour moi être un membre actif, même si je suis loin de Montpellier. C’est être dans « l’agir », avec la possibilité d’échanger, de déployer des idées, de participer, d’être partie prenante, de prendre part, c’est-à-dire oser prendre parti, au-delà des consensus mous. C’est la possibilité de faire partie d’un groupe tout en gardant son identité, voire son étrangeté légitime, pour paraphraser le poète René Char. En outre, et si j’ai adhéré dès le départ à cette association d’obédience lacanienne, je ne prétends pourtant pas être lacanien, même si je sais O combien Lacan a augmenté et approfondi la pensée freudienne. Chez Lacan, j’ai envie de dire « que j’y ai fait mon marché », j’en ai retiré ce qui m’aidait dans ma compréhension de la psychanalyse, conscientisé que cela se confondait le plus souvent avec ce que j’y comprenais, c’est-à-dire, ce que, en langage lacanien, j’avais pu « attraper » ! D’où mes réticences à l’égard de son ultime enseignement…

Cependant, Lacan ne représente pas toute la psychanalyse. Peut-on ignorer les enseignements de Winnicot, de Bion, de Klein, de Ferenczi, et même certains concepts de Carl Gustav Jung ? Ne voulant pas m’enfermer, j’ai fait le choix de l’éclectisme. Si je devais me définir comme analyste, et ce serait forcément réducteur, je dirais que si je suis d’orientation freudolacanienne, je suis aussi un hétérodoxe car je n’ai aucun goût pour la pensée unique. Par amitié pour le regretté Jean Oury, je dirais bien que je suis « ouryen » (et non « ou rien » !), sans me vouer pour autant au culte de la personnalité du « Grand Jean ».

Quelques mots sur ma pratique en cabinet laquelle ne m’occupe que quelques heures par semaine. Cette activité ne se fonda pas dans un but lucratif, même si elle m’apporte un complément de revenus. En 2015, il s’agissait surtout pour moi d’aller au bout d’une longue démarche impliquante, une bonne décennie étant nécessaire pour générer un analyste débutant. Tout au long de ce processus, il y a eu, chevillé au corps, un désir de transmission, transmission d’une posture à tenir, un savoir « être avec », à travers l’invention de mon propre style ; et dans cette transmission il n'y a pas seulement la transmission d’un corpus théorique, il s’agit de transmettre une praxis, celle qui consiste à accueillir « ce qui ne va pas », et peu à peu, au fil des séances, permettre au sujet d’advenir à son désir inconscient : « Wo es war, soll ich werden » énonçait Freud.

Pour cela, je viens de le dire, j’ai mon style. Il me semble que le cadre analytique, avec son théâtre ritualisé et à huis clos, induit trop souvent un manque de réciprocité. Avec un sujet en analyse de façon régulière et durable, l’analyste que je suis, sous l’influence de mon transfert vers l’analysant, s’efforce de réduire cette dissymétrie laquelle, me semble t’il est un frein à l’avènement du désir du sujet. La réduire renforce l’alliance thérapeutique et la confiance réciproque. Voici encore des signes de mon hétérodoxie, et si elle est liberté, elle n’exclue pas la rigueur, qui ne signifie pas rigidité. Ainsi, pour exemple, ayant rêvé d’une analysante, il m’est arrivé de lui raconter mon rêve et de le décrypter avec elle, mais elle n’est pas n’importe qui : Il s’agit d’une analysante que je rencontre chaque semaine depuis trois ans et qui a toute l’étoffe d’une future analyste.

Voilà ce que je fais depuis 2015, animé d’un désir, le désir de l’analyste, désir du désir de l’autre, et ça me fait associer avec la question ontologique tosquello-ouryenne : « Qu’est-ce que je fous là ? ». Voilà une question essentielle à laquelle je ne me déroberai pas. Je suis un professionnel de la relation d’aide qui se fout pas mal de la neutralité bienveillante. Les « patients » du cabinet, « je roule pour eux », je les soutiens, il m’arrive même et de plus en plus souvent de les « réparer », enfin…de leur redonner le sourire et foi envers une vie qui vaudrait la peine d’être vécue, comme quoi une certaine forme d’intervention analytique n’est pas étrangère au soin.

Pour comprendre, il faut contextualiser : la moitié de mes patients sont des psychistes qui sont salariés d’un établissement public psychiatrique situé en Haute Savoie. Cet établissement, à l’instar de beaucoup d’autres, connait une grave dérive managériale où s’impose en force une quantophrénie mortifère, s’illustrant par l’obsession gestionnaire, le culte de l’obéissance, la mise au pas des équipes, et le diktat d’une Direction paranoïaque et violente, au détriment de la prise en soin.

Il faut dire que majoritairement, les Directions d’établissements psychiatriques ne se démènent pas pour le bien-être de leurs patients, ni de leurs professionnels. Ce n’est pas leur problème que l’hôpital soit hospitalier. Ils travaillent pour les ARS, pour le ministre de la Santé, et pour l’optimisation de leurs ratios de fonctionnement ; et ces énarques de la santé publique qui ne connaissent rien à la psychiatrie tiennent à garder leur place de chiens de garde, comme les appelait le regretté Pierre Bourdieu.

Résultat : dans l’impossibilité de travailler, les psychologues d’orientation analytique vivent une souffrance éthique intolérable, et beaucoup d’entre-eux ont démissionné afin de ne pas continuer à être complices d’un établissement qui dans le meilleur des cas, ne pratique plus qu’une psychiatrie vétérinaire.

Autres résultats : hémorragie de certaines catégories de personnel et fortes difficultés de recrutement, durée moyenne des hospitalisations incroyablement courte pour favoriser le « turn over » des patients (mais une schizophrénie, ça demande plus que 21 jours !), fort taux d’absentéisme, recrudescences des pratiques d’isolement et de contention, et un nombre inquiétant de suicides de patients dans certains services.

Alors, j’accueille en supervision des psychologues en très grande détresse, leur santé à un moment fut même engagée, et j’en parlerai plus longuement dans un prochain texte. En outre, des séances d’analyse, avec d’autres professionnelles, se transforment actuellement en consultation de souffrance au travail, comme quoi, et selon l’adage, il faut vivre avec son temps, même si, à l’instar de l’écrivain Henry Miller, je dirais que c’est le temps des assassins. Il s’agit d’une période marquée par le nihilisme thérapeutique et le culte de l’évaluation. La psychiatrie contemporaine se caractérise majoritairement par une négation de l’orientation relationnelle du soin psychique, substituée par la psychopharmacologie, l’éducation thérapeutique et la généralisation des pratiques coercitives. Nous sommes dans le primat de la thèse neurobiologique : l’être humain se réduirait à un cerveau, une machine à traiter de l’information, et si nous logeons toutes les causalités dans le cerveau, cette option scientiste réduit l’être parlant à un organe mutique.

La folie n’existe pas et les maladies mentales seraient des maladies comme les autres : cette banalisation annonce la mort de la psychiatrie si les professionnels ne réagissent pas unanimement et notamment les psychiatres.

Aujourd’hui hégémonique, la thèse neurobiologiste prétend s’imposer à toute conception relationnelle des soins, à la psychanalyse et à tous ceux qui y puisent une orientation humaine telle que la psychothérapie institutionnelle. Cette nouvelle cérébrologie soutenue par les ARS, légitime la mise sous tutelle administrative des pratiques de la parole, elle postule le tout neuro, et la médicalisation outrancière de la maladie psychique, afin d’engraisser Big Pharma !

Comme le disait Jean Paul Sartre à la fin de sa vie : « On a raison de se révolter ! »

 

 

Colloque de l’association l’@Psychanalyse, les 8 et 9 octobre 2022.

 

 

 

Mots-clés : double aliénation, passe, désir de l’analyste, transfert, praxis analytique, soin psychique, souffrance au travail, hétérodoxie, psychiatrie, peste managériale, cérébrologie.

 

11 août 2022

Psychanalyse et supervision d'équipes

Psychanalyste :

Je vous accueille sur rendez-vous au 23 rue de Savoie (2ème étage) à Sallanches (74720).

Psychanalyse et thérapies d’inspiration analytiques. Thérapies par le rêve éveillé.

En cas d’urgence, je m’arrangerai pour vous recevoir dans les 24 heures…

Contact : 06.16.13.26.48. 

 

Superviseur certifié :

J’interviens sur site, à votre demande, pour :

-         Supervision clinique institutionnelle.

-         Analyse des pratiques professionnelles.

-         Groupes de parole.

-         Analyse institutionnelle.

-         Formations.

Dans le champ social, médico-social, et sanitaire…

Mon cadre de référence est la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse.

Quelques références :

MDEF 74, IRTESS de Bourgogne, IREIS d’Annecy, service petite enfance de Passy, Centre Hospitalier Alpes -Léman (CHAL), Hôpitaux du pays du mont blanc (supervision médecine et pédiatrie), Secteur psychiatrique de l’est vaudois (Suisse), ADMR, ESAT de Sallanches, EHPAD(S) de : Bonneville, Cluses, Ambilly, Marnaz, Megève, LVA « La bergeronnette » (71), CEMEA Ile de France…

 

Contact : 06.16.13.26.48. /serge.didelet@wanadoo.fr

 

 

 

Serge Didelet est né en 1954. Il a été ce qu’il est convenu d’appeler génériquement « un travailleur social » durant les quarante années de sa trajectoire professionnelle. Il fut acteur en divers champs : l’éducation populaire – par la pratique de la montagne - avec des jeunes de banlieue, le tourisme social et familial, l’animation socio-culturelle, et, pendant une décennie, l’éducation spéciale avec des jeunes abandonniques, puis les dernières années, la formation et l’animation de séminaires (sur le transfert dans la relation éducative, sur Louis Althusser, sur Jean Oury, sur l’aliénation…). Titulaire du Diplôme des Hautes Etudes en Pratiques Sociales (Paris III Sorbonne), psychanalyste et superviseur d’équipes (certifié PSYCHASOC) il anime des groupes de parole dans le social et le médico-social, il intervient comme formateur dans les centres de formation de travailleurs sociaux. Serge Didelet est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont notamment : « Jean Oury… Celui qui faisait sourire les schizophrènes », préfacé par Joseph Rouzel, Champ social Editions, juin 2017. A lire avant qu’il ne soit épuisé.

Contact : serge.didelet@wanadoo.fr/ 06.16.13.26.48.

Blog : www.praxis74.com

 

 

1 juillet 2022

Point de chute

C’était dans les prémices de la décennie 90, je ne sais plus trop quelle année ; le drame s’est déroulé un soir d’été où l’orage menaçait.

Il s’appelait Jean Vednarek, les familiers l’appelaient Jeannot, sexagénaire solide, d’origine polonaise, il faisait la plonge depuis plus de deux décennies dans cette maison familiale de vacances dans laquelle j’étais le Directeur. Concrètement, j’étais le chef (un chef non-chef !) d’une équipe pluridisciplinaire composée de quinze personnes. Une maison de vacances, c’est comme un hôtel où – outre le gîte et le couvert – l’on permet aux vacanciers d’accéder à des activités sportives et culturelles, et notamment des sorties diverses en montagne : nous sommes au pied du Mont blanc. Ces maisons de vacances étaient l’émanation d’un mouvement né à la fin de la Seconde guerre mondiale : le tourisme social et familial. Autre époque où, avec quelques collègues, étions animés d’une éthique : que le temps libre ne soit jamais un temps vide.

Depuis qu’il occupait cette place de plongeur, Jean en avait vu défiler, des directeurs. Je fus le dernier. Quelques années auparavant, j’étais alors animateur spécialisé, et avec bienveillance paternelle, il m’avait vu gravir les échelons de la promotion socio-professionnelle. De ce fait, nous nous connaissions un peu et nos relations étaient amicales.

Il avait de l’allure, le jeannot, toujours impeccable et rasé de près, il mesurait plus d’un mètre quatre-vingts, il avait même le coup de poing facile si quelqu’un le cherchait ; il faut dire qu’il avait passé cinq années à la Légion étrangère ! Il avait l’air du mec qu’il ne faut pas chercher, mais je sais que c’était une carapace sociale, car il était très gentil. Les vacanciers l’aimaient bien, il faut dire qu’il « faisait partie des meubles », comme il l’énonçait souvent avec fierté. Du fait de son ancienneté, il était la mémoire de l’établissement.

Il passait l’essentiel de ses jours de repos hebdomadaires dans divers bars du coin, il jouait aux cartes et buvait « sec », il était l’objet d’une soif inextinguible ! Le soir, je le voyais souvent revenir, sa Mobylette avait l’air de connaître la route et le ramenait toujours à bon port, il roulait à dix à l’heure, tête baissée, signes tangibles qu’il était dans les vignes et que la journée avait été chargée. Dans cette situation, il évitait tout le monde, prenait l’ascenseur au sous-sol et direction sa piaule au cinquième étage, retour à la case de départ !

Il occupait une petite chambre mansardée, sous le toit, son univers faisait neuf mètres carrés, dans lequel étaient réunis toutes les traces de sa vie : photographies de ses filles, de ses petits-enfants, de la Légion, où il avait fière allure avec son képi blanc. Sa chambre était toujours propre et bien rangée, c’était son lieu de vie et il y tenait.

J’ai appris par la rumeur que depuis quelques temps il déprimait, consécutivement à un ultimatum de la DRH qui lui avait annoncé son départ imminent à la retraite. Il avait 62 ans, et de cette retraite, il n’en voulait pas, il voulait continuer à travailler au moins jusqu’à 65 ans. Un jour, il m’avait confié que la perspective de partir d’ici était pour lui très angoissante. Sa vie était ici, dans ses neufs mètres carrés, avec ses copains en ville, ses filles qui n’étaient pas loin, et son travail en cuisine. Il ne voulait pas se déraciner à nouveau, il savait ce que cela voulait dire, ayant quitté la Pologne à 18 ans, premier « débranchement » … « Pour aller où ? » m’a-t-il dit. « Mes filles ne peuvent pas me prendre chez elles, les loyers sont hors de prix, je ne sais pas où aller. Avant de partir d’ici, il faudrait que je me trouve un point de chute ! »

C’était un samedi de juillet, grosse journée pour moi où se croisaient les flux de vacanciers, une centaine partait, une centaine arrivait. J’ai croisé Jean dans l’après-midi, j’ai trouvé qu’il avait le teint jaune et l’air sinistre. Vague échange langagier, le protocole social minimal : « Ça va ? – ça va ! », propos vides de sens qui ne disent rien du sujet et dont depuis j’ai horreur.

Vers 19h30, alors que le service de restaurant avait commencé, une collègue de travail, affolée, m’annonce que Jean est couché dans la rue, étalé sur la route et qu’il a l’air inconscient.

Je me rends sur les lieux. Il est couché sur le dos, et, insolite, une chaussure lui manque. Il râle, et je pense à un comas éthylique, alors je le place en position latérale de sécurité et je demande à ma collègue d’appeler les pompiers. L’orage gronde, il y a un vent impétueux qui tournoie en entraînant des feuilles, des grosses gouttes commencent à tomber sur nous, alors je demande que l’on m’apporte une couverture afin de le protéger.

Du chalet presque mitoyen une femme sort, l’air affolé. Elle me dit qu’elle l’a vu tomber, et je crois comprendre qu’elle l’a vu tomber de sa hauteur, comme un homme pris de boisson ; mais elle insiste, et me dit qu’elle l’a vu enjamber le balcon et qu’il a sauté du dernier étage. Je lève machinalement la tête, cinq étages, ça fait bien dans les quinze mètres. Comment est-ce possible alors qu’il a l’air intact, il ne saigne même pas du nez !?

Il ouvre les yeux, semble me reconnaître, puis les referme en marmonnant des phonèmes incompréhensibles. Les pompiers arrivent, professionnels et efficaces. Matelas coquille, minerve, perfusion, oxygène. Ils l’emmènent à l’hôpital. Je suis hagard… d’émotion…de stress…rincé par la pluie. J’apprendrai un quart d’heure plus tard que Jean est mort pendant son transfert à l’hôpital.

Il avait trouvé son point de chute…

 

 

 

Serge DIDELET, le 1er juillet 2020

16 juin 2022

Des signes ostentatoires de désespérance?

« Ces livres venus sur le tard, « L’avenir d’une illusion » et « Le malaise dans la civilisation » ne sont peut-être pas aussi nourris que les précédents ; mais ils sont plus poétiques. Ils contiennent moins de science démontrable, mais plus de sagesse (…) C’est comme si, pour la première fois, derrière le regard scrutateur, surgissait l’être humain si longuement dissimulé qu’est Sigmund Freud.

Mais ce regard qui contemple l’humanité est sombre ; il est devenu tel parce qu’il a vu trop de choses sombres ; continuellement, pendant cinquante ans, les hommes n’ont montré à Freud que leurs soucis, leurs misères,, leurs tourments et leurs troubles, tantôt gémissant et interrogeant, tantôt s’emportant, irrités, hystériques, farouches ; toujours il n’a eu affaire qu’à des malades, des victimes, des obsédés, des fous ; seul le côté triste et aboulique de l’humanité est apparu inexorablement à cet homme durant toute une vie. Plongé éternellement dans son travail, il a rarement entrevu l’autre face de l’humanité, sereine, joyeuse, confiante, la partie composée d’hommes généreux, insouciants, gais, légers, enjoués, bien portants, heureux. Il n’a rencontré que des malades, des mélancoliques, des déséquilibrés, rien que des âmes sombres. Sigmund Freud est resté trop longtemps et trop profondément médecin pour n’en être pas arrivé peu à peu à considérer toute l’humanité comme un corps malade. Déjà, sa première impression, dès qu’il jette un regard sur le monde du fond de son cabinet de travail, fait précéder toutes recherches ultérieures d’un diagnostic terriblement pessimiste : « Pour toute l’humanité, de même que pour l’individu, la vie est difficile à supporter. »

Stefan Zweig, « Sigmund Freud, la guérison per l’esprit », Le livre de poche 2021.

16 mars 2022

Mort d'un homme de qualité...

Le « président » Alain Krivine est mort samedi 12 mars, à Paris, à l’âge de 80 ans, a appris Le Monde auprès de sa famille. « Président », c’était le surnom affectueux que lui donnaient ses amis en souvenir de cette élection présidentielle de 1969 où un bidasse portant cravate – il effectuait alors son service militaire comme deuxième classe au 150e régiment d’infanterie de Verdun –, un peu raide, la tignasse et le regard sombres, se revendiquant du mouvement de Mai-68, s’était présenté au suffrage des électeurs tout en dénonçant la « duperie » des élections. « Le pouvoir n’est pas dans les urnes », professait celui qui débutait chacune de ses interventions télévisées par : « Pour la première fois, un candidat révolutionnaire s’adresse à vous… »

Né le 10 juillet 1941 à Paris, Alain Krivine est issu d’une famille de juifs ukrainiens émigrés en France après les pogroms antisémites de la fin du XIXe siècle. Entré à 17 ans aux Jeunesses communistes, l’organisation de jeunesse du Parti communiste français (PCF), où militent également ses quatre frères, il exprime son désaccord avec la ligne politique d’un parti qui rejette l’indépendance de l’Algérie. Il rejoint une organisation clandestine, Jeune résistance, qui multiplie les actions pour inciter les jeunes soldats à refuser d’aller faire la guerre en Algérie. C’est sa première expérience du militantisme radical, qui va rapprocher de la IVInternationale trotskiste ce militant modèle, éduqué dans le creuset de la famille communiste, et va l’amener à rompre avec le stalinisme.

« Gagné à la cause »

Alain Krivine est discrètement cornaqué par des responsables trotskistes du Parti communiste internationaliste (PCI), dont Pierre Franck, ancien secrétaire personnel de Trotski, lorsqu’il devient un des dirigeants du Front universitaire antifasciste (FUA), créé en réaction au putsch d’Alger du 22 avril 1961. Le 23 mars 1962, une charge de plastic explose devant la porte de l’appartement de son père, le docteur Krivine, spécialiste en stomatologie, provoquant d’importants dégâts.

Bien qu’étant déjà « gagné à la cause » du trotskisme, il continue à militer au sein de l’opposition de gauche à l’Union des étudiants communistes (UEC). Animateur du secteur Sorbonne-lettres de l’organisation liée au PCF, il se bat pour le « droit de tendance » et la « déstalinisation » du parti. Le congrès de mars 1965 donne lieu à de violents accrochages. Orateur éloquent, à l’ironie mordante, Alain Krivine interpelle à la tribune les gardiens de la ligne. Un an plus tard, le « secteur », qui a notamment refusé de soutenir la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1965, contrairement à la direction du parti, est exclu de l’UEC.

Alain Krivine et les militants de « Sorbonne-lettres » créent alors la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), qui jouera un rôle important dans les mobilisations contre la guerre au Vietnam puis pendant les événements de Mai-68. Alain Krivine, dont le frère, Jean-Michel, chirurgien, a pris part à deux commissions d’enquête médicales au Vietnam, est un des fondateurs du Comité Vietnam national au côté du mathématicien Laurent Schwartz. La JCR, si elle se réclame du trotskisme, se veut ouverte aux courants nouveaux du marxisme et notamment à ceux qui ébranlent le tiers-monde (castrisme, guévarisme…) et la jeunesse occidentale. Elle établit de nombreux contacts avec les dirigeants de mouvements révolutionnaires de pays étrangers comme Rudi Dutschke en Allemagne ou Tariq Ali en Angleterre. Lorsqu’en 1968 commencent les premières secousses de ce qui allait se transformer en grève générale et ébranler le pouvoir gaulliste, Alain Krivine est secrétaire de rédaction à mi-temps chez Hachette. Il déserte rapidement son poste pour s’immerger dans le mouvement. Le service d’ordre de la JCR forme l’ossature de celui de l’UNEF lors des principales manifestations de Mai-68. Les cadres de la JCR jouent un rôle d’encadrement et d’animation, notamment lors de la « nuit des barricades », le 10 mai, ou de la tentative de jonction entre étudiants et ouvriers chez Renault, le 17 mai, violemment repoussée par les bataillons de la CGT et du PCF.

Après que le pouvoir gaulliste a repris la main, la JCR est dissoute par décret du 12 juin. Alain Krivine entre alors dans une semi-clandestinité. Il est appréhendé le 16 juillet en compagnie de sa femme, Michèle, fille de l’ancien secrétaire général adjoint du Parti socialiste unifié (PSU) Gilles Martinet. Inculpé pour « maintien et reconstitution de ligue dissoute », il est écroué pendant cinq semaines à la prison de la Santé avant d’être remis en liberté provisoire sur les instances du nouveau ministre de l’éducation nationale, Edgar Faure, qui essaie de se ménager une rentrée « apaisée ».

En avril 1969 naît la Ligue communiste. Au côté d’Alain Krivine, ses principales figures s’appellent Daniel Bensaïd, Henri Weber et Charles Michaloux. Présenter un candidat à l’élection présidentielle est un véritable défi. « Nous voulons faire entendre la voix révolutionnaire de mai et juin 68 à la télévision, expliquent ses jeunes dirigeants. Cette candidature révolutionnaire tendra à dissiper les illusions électoralistes et parlementaristes du PC. Nous voulons rompre avec cette vision et affirmer une force sur la gauche du PC. »

Au premier rang des contestations

Des personnalités des milieux intellectuels, littéraires et artistiques – comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Michel Leiris, Maurice Nadeau – lancent un appel en sa faveur. La ligue parvient à recueillir 230 signatures d’élus pour parrainer son candidat, plus du double du nombre requis, cent à l’époque. Alain Krivine bénéficie alors d’une « permission spéciale ». Après avoir mené « une campagne rouge », comme le nom de l’organe de presse, Rouge, dont s’est dotée la jeune formation, il recueillera un peu plus de 1 % des voix. Il sera de nouveau candidat en 1974, après la mort de Georges Pompidou, et récoltera un maigre 0,37 %. « Je n’ai pas été élu président de la République. Il m’a toujours manqué 99 % des suffrages », aimait-il répéter.

Entre-temps, la Ligue communiste a été dissoute après qu’elle se fut opposée par la force, le 21 juin 1973, à un meeting du mouvement d’extrême droite Ordre nouveau contre « l’immigration sauvage »Alain Krivine est de nouveau interpellé, inculpé d’infraction à la loi anticasseurs et écroué à la Santé. Appuyé par un fort mouvement de soutien, il est libéré cinq semaines plus tard.

Révolutionnaire, il l’est resté toute sa vie, ça ne lui est pas passé avec l’âge – contrairement à ce que dit le titre de ses Mémoires, parus en 2006, Ça te passera avec l’âge (Flammarion). Il a traversé plus d’un demi-siècle sans jamais dévier de la conviction que « la révolution est possible », qu’« il n’y a jamais eu autant de raisons de se révolter », attentif à tous les mouvements de contestation susceptibles de contribuer à l’émancipation sociale, de faire bouger les lignes du mouvement ouvrier. « Le véritable bonheur pour tout homme digne de ce nom, c’est de participer, conscient, à toutes les luttes d’émancipation », déclarait-il en 1973 alors qu’il s’apprêtait à prendre part une nouvelle fois à l’élection présidentielle, où il fait campagne sur le thème « ni trêve ni compromis ».

De Lip aux comités de soldats, des mouvements féministes aux mobilisations lycéennes et étudiantes, des manifestations internationalistes aux combats antiracistes et antifascistes, du soutien aux sans-papiers aux actions pour le droit au logement, des coordinations aux soubresauts du mouvement syndical, sans négliger les tribunes électorales, l’organisation dirigée par Alain Krivine, devenue Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en décembre 1974, a été de tous les terrains de lutte. Avec l’obsession constante de « faire bouger les choses » et de « trouver un débouché politique aux mouvements sociaux », le dirigeant trotskiste – même s’il n’aimait pas ce terme – a tenté de semer « les graines d’une nouvelle gauche, ni social-démocrate ni stalinienne », inlassablement prêt à s’enflammer malgré les reculs, les échecs et les déceptions.

Sur tous les fronts de contestation, Alain Krivine était au premier rang, toujours disponible, toujours prêt à « donner un coup de main aux camarades », à exploiter son impressionnante liste de contacts pour populariser une initiative, à servir de relais pour élargir le champ des soutiens. Le mouvement social de l’hiver 1995 insuffle une énergie décuplée à une LCR qui pense pouvoir rencontrer un écho plus large auprès de nouvelles couches radicalisées.

Premier mandat électif

Aux élections européennes de 1999, la LCR fait liste commune avec Lutte ouvrière (LO). Alain Krivine est en deuxième position derrière l’emblématique porte-parole de LO, Arlette Laguiller. La liste recueille plus de 5 % des voix et obtient cinq élus. A 58 ans, celui qui a déjà derrière lui plus de quarante ans de militantisme politique occupe un premier mandat électif. L’élection au Parlement européen, outre la découverte du monde politique institutionnel, lui permet de disposer de moyens supplémentaires et d’embaucher un assistant parlementaire. Pendant un an, c’est un jeune militant syndicaliste de La Poste, Olivier Besancenot, qui occupera cette fonction.

En 2002, Alain Krivine le convainc, non sans mal, d’être le candidat de la LCR à l’élection présidentielle. Le jeune postier recueille 4,25 % au premier tour d’une élection qui voit le candidat du PS, Lionel Jospin, éliminé du second tour, qui met aux prises Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Cinq ans plus tard, Olivier Besancenot est de nouveau candidat à la présidentielle et obtient plus de 4 % à l’issue d’une campagne qui soulève un engouement sans précédent pour un candidat d’extrême gauche. La Ligue décide de se dissoudre pour céder la place à un Nouveau Parti anticapitaliste plus à même, espère-t-elle, d’élargir l’audience de l’ancienne formation trotskiste.

Une nouvelle génération prend le relais. Alain Krivine a pris du champ et n’exerçait plus de responsabilités politiques, mais il restait toujours présent. Bien qu’il ait fait valoir ses droits à la retraite en 2004, il continuait encore, bien après, à occuper un bureau au-dessus de l’imprimerie Rotographie, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), et à distiller ses conseils : « Siempre presente. » Une vie de révolutionnaire… sans révolution.

 

Alain Krivine en quelques dates:

10 juillet 1941 Naissance à Paris

1958 Entre aux Jeunesses communistes

1966 Exclu de l’Union des étudiants communistes

1967 Création de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR)

1969 Création de la Ligue communiste

1969 Candidat à l’élection présidentielle

1974 Candidat à l’élection présidentielle

2006 Publie « Ça te passera avec l’âge » (autobiographie)

2009 Dissolution de la Ligue et naissance du Nouveau Parti anticapitaliste

2022 Mort à l’âge de 80 ans

 

 

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