PRAXIS 74 . Travail social et psychanalyse.

03 mars 2023

La folie circulaire

 

Avec la psychose maniaco dépressive (PMD) – appelée antérieurement « folie à double forme » ou le plus souvent « folie circulaire, et aujourd’hui trouble bipolaire » -, et si l’on se limite à la description factuelle et clinique du trouble thymique, nous n’en saurons pas grand-chose. Pour passer du « quoi ? » au « pourquoi ? », il va falloir consentir à faire un tour du côté des structures psychiques, ce qui aidera à la compréhension de l’étiologie et de la clinique spécifique à la PMD. Si l’alternance manie/mélancolie est consubstantielle à ce syndrome, elle peut aussi être un écran de fumée à la compréhension des enjeux psychiques, d’où l’importance pour le thérapeute de prendre de la hauteur.

En visitant trois grands auteurs de la psychanalyse, K. Abraham, S. Freud, et J. Lacan, des psychanalystes impliqués dans la compréhension de la bipolarité psychique, nous allons pouvoir appréhender cette psychose d’un point de vue structural, et le premier enjeu épistémo-clinique consistera à identifier le lien entre manie et mélancolie, sachant que la PMD est une entité nosographique unique. Aborder celle-ci par la structure, c’est d’abord repérer la position du sujet par rapport au langage. Il faut dire que le discours maniaque évoque souvent une métonymie infinie et ludique des signifiants – jeux de mots et calembours -, par laquelle les oppositions symboliques semblent voler en éclat.

Par cet exemple tiré de la clinique, un sujet en phase maniaque proclamera dans le même élan verbal qu’il est mort mais aussi immortel, tout en implorant le psychiste de le soulager en acceptant de le tuer ! Nous rencontrons aussi une opposition entre grand et petit, le sujet migrant d’un délire de petitesse et d’indignité (« je ne suis rien ») à la conviction mégalomaniaque qu’il est un dieu sur terre (« je suis tout ») et qu’il détient même la gnose !

Dans la mélancolie, le sujet peut refuser d’abandonner sa position libidinale, incapable de se séparer de l’objet d’amour. Par le déni, il se détournera de la réalité afin de garder l’objet par une psychose hallucinatoire de désir : l’amentia. L’amentia, décrite par le psychiatre Théodor Meynert (1833-1892) – Freud avait suivi son enseignement – fut pour le jeune Freud le premier modèle de la psychose par lequel le Moi rejette la représentation insupportable (déni de la réalité) et se comporte comme si cette représentation n’était jamais arrivée à lui. Le sujet en proie à l’amentia, hallucinera son désir de l’objet. L’amentia, très proche du rêve éveillé constitue un accomplissement de souhait, elle est au service du désir.

 Ce sont de tels délires, et la rupture avec la réalité factuelle, qui font du trouble bipolaire avéré une véritable psychose dite maniaco dépressive ; et le sujet qui en est la proie devra à la fois être protégé des dangers encourus par la toute-puissance maniaque, ainsi que par les conséquences possibles de la conscientisation d’une vie indigne que nous rencontrons dans la crise mélancolique.

Dans la PMD, il y a un primat de l’objet @[1], l’objet cause du désir. La PMD est un syndrome objectal.  La dépréciation de soi est pathognomonique de la mélancolie où le sujet se vivra comme un objet indigne et infâme rejeté par tous. Dans cette situation où les risques de suicide sont très importants, l’hospitalisation en milieu protégé est souhaitable.

En phase ultra maniaque, le sujet affranchi d’un Surmoi déjà faible, et semblant ignorer la castration, se mettra en quête d’un objet capable de lui procurer un « plus de jouir » mortifère, un « au-delà du principe de plaisir » (Freud 1920) et, par ses actes délirants et souvent délictueux – nombreuse transgressions sociales[2]-, il se comportera à l’instar de l’objet d’infamie du mélancolique, ce qui fait que le sujet en arrivera au même point, qu’il soit en phase maniaque ou mélancolique. Il semble que la manie soit fondée des mêmes contenus que la mélancolie, et qu’elle constitue un moyen de la fuir – et vice versa - ; c’est ma conviction profonde étayée par mon expérience de la PMD.[3]

Le passage en mélancolie sera alors la solution pour sortir d’une phase ultra maniaque dangereuse pour le sujet qui ne dort plus et qui ignore la castration et le renoncement pulsionnel. Cela lui évitera l’ordalie et le flirt dangereux avec les limites. Cela lui évitera aussi des conduites délictueuses avec ses répercussions sociales. A contrario, le passage en manie ou -mieux- en hypomanie[4] aidera le mélancolique à sortir de son apathie et de ses reproches d’auto-accusation, la phase maniaque le remettra en mouvement et lui évitera les tentations d’autolyse.

J’ai rencontré Julien dans le cadre d’une mission comme superviseur d’équipe dans une Maison d’accueil spécialisé (MAS) qui accueille des adultes autistes. Au bout d’un certain temps, nous avons sympathisé, il a quarante ans, éducateur spécialisé, et j’ai accepté de le rencontrer à plusieurs reprises en dehors des sessions de supervision car il se sent très seul et a besoin de parler. En outre, je vais apprendre de sa bouche qu’il souffre d’une dépression récurrente, bien que stabilisée par un traitement. Son état mélancolique chronique qui s’origine d’une rupture amoureuse fait partie, m’a-t-il dit, de sa personnalité et n’obère pas une vie socioprofessionnelle. Il a un traitement antidépresseur sérotoninergique[5]prescrit par un psychiatre qu’il rencontre deux fois par mois. Son état est stable et jusqu’à ce week-end à Annecy qu’il va me raconter, il est selon la nosographie un dépressif unipolaire.

Il me raconte la grave crise qu’il a vécu lors d’un week-end de Pentecôte, chez des amis, au bord du Lac d’Annecy. Il fait beau, l’ambiance est festive, le rosé coule à flot et « ça fume à tout va ». Il y a de jolies filles, dont une qui va devenir malgré elle son objet de désir, et cela jusqu’à l’obsession érotomane. Elle s’appelle Nadia. Pendant trois jours, celui qui est d’ordinaire considéré comme un taiseux ne cessera pas de parler, de pérorer, de réciter des poèmes ; il est très excité intellectuellement, monopolise l’attention de tous, multiplie les calembours et les mots d’esprit, et surtout, la pauvre Nadia qui n’a rien demandé va être l’objet de ses multiples tentatives de séduction. Il lui manifeste une forme de « drague » assez singulière, et si sa présence est très prégnante, il n’est jamais vulgaire ni graveleux, c’est plutôt un doux envahisseur, féministe et cultivé. Ne tenant pas en place, il va plusieurs fois en ville, la première fois il revient avec un énorme bouquet de roses qu’il offre à Nadia, plutôt gênée.

Ses élans amoureux évoquent une sublimation démesurée. Il déclame à tue-tête des textes de Léo Ferré, il boit sans cesse, fume, et si ses amis s’en amusent au début, ils finissent par s’inquiéter. Il repart en ville, revient avec des boissons et de la nourriture, et prodigue, il refuse d’être remboursé par les autres. Nadia commence à se lasser des assauts libidineux de Julien. C’est tout juste s’il l’a laissé dormir la première nuit où il lui a tenu des propos extravagants sur un amour unique, inconditionnel, cosmique et absolu, alors qu’elle est venue pour s’amuser avec les amis qu’ils ont en commun, pas pour être le réceptacle de la libido d’un autre décidément envahissant, bien que sympathique et touchant, alors elle le prend en pitié et ne le rejette pas, ce qui ne fait qu’encourager Julien dans ses tentatives de séduction.

Julien ne dormira pas pendant 48 heures, et le troisième soir, titubant de fatigue et d’alcool, tout en restant très excité par les conversations, il finira par abdiquer de sa jouissance et ira se coucher pour s’endormir très vite d’un sommeil agité. Fin de l’excitation.

Le lendemain, après une courte nuit de sommeil, il se lève. Il n’a plus aucune énergie et « la gueule de bois », il se sent triste et angoissé – d’une angoisse sans objet dira-t-il – Il culpabilise par rapport aux jours précédents, il a honte de sa conduite, il tient des propos suicidaires, se couvre de reproches, se disqualifie aux yeux des autres, s’auto-flagelle et va jusqu’à proclamer qu’il va se jeter du Pont de la Caille[6] afin d’en finir avec cette comédie qu’est sa vie, laquelle ne vaut décidément rien tant il se sent seul et mal-aimé. Il acceptera de se faire accompagner aux urgences de l’hôpital d’Annecy où il sera pris en charge par la psychiatrie de liaison. Il sera hospitalisé en USIP[7] et y restera pendant plusieurs semaines.

Ainsi, Julien, dépressif chronique unipolaire vivra sa première crise maniaque, qui sera elle-même jugulée par une entrée en mélancolie ; et cette disjonction opérera pendant son sommeil. Je l’ai revu plusieurs fois, il est maintenant stabilisé, racontant qu’il vit une forme de mélancolie active ponctuée de périodes hypomaniaques plutôt créatrices et agréables. Il n’a pas connu de nouvelles crises maniaques, lesquelles, à chaque fois, étaient générées par un excès d’alcool et de produites stupéfiants.

La PMD serait donc autorégulatrice, c’est mon hypothèse[8], celle du mal par le mal. Dans la phase maniaque, on peut dire métaphoriquement que le sujet a l’objet @ dans la poche. Il est dans l’illusion de la toute-puissance et les semblants d’objets « cause du désir » semblent à la portée de sa jouissance mortifère, illusion du miraginaire. Tout semble possible et les limitations castratrices sont niées.

 Quant à la phase mélancolique, elle survient le plus souvent à l’acmé de la crise maniaque, fonctionnant un peu comme un thermostat psychique. Le sujet « revient sur terre », dans un monde qui d’un coup ne présente plus aucun attrait, c’est la panne de désir par laquelle le sujet se conscientise que l’objet perdu est depuis toujours perdu et cet état désespérant est éligible aux urgences psychiatriques, le sujet est en grave danger ! ; comme l’écrivit Freud : « L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le Moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l’objet abandonné »[9]. Comme l’écrivait Joseph Rouzel[10] : « L’expérience clinique nous enseigne que chez le mélancolique, dans le moment de l’effondrement, lorsque l’Autre qui fait appui au sujet se dérobe après l’excitation, le risque de suicide est majeur ».

L’ombre de l’objet perdu à jamais -et depuis toujours- le persécute et tend à le mener vers l’inanimé de la pulsion de mort. A contrario et comme nous l’avons vu, la phase maniaque sera une tentative de résolution du deuil (de l’objet perdu) mélancolique.

En outre, à ces crises cycliques plus ou moins longues – qu’elles soient maniaques ou mélancoliques – il existe une issue paranoïaque souvent observée en clinique psychiatrique : le sujet, réduit à un déchet pendant sa crise mélancolique, objet infâme indigne de vivre, va se révolter, en accusant l’Autre (ou l’autre de l’alter ego) de vouloir le réduire à cet objet d’infamie, et qu’il a décidé de faire face à cet ostracisme et de ne pas se laisser faire.  Ce sursaut d’allure paranoïaque peut aussi se rencontrer à l’apogée d’une phase maniaque. Ainsi cette renarcissisation paranoïaque constituera une solution psychique élégante - le sujet sauve son estime de soi – pour un rétablissement parfois durable, d’autant plus que le délire paranoïaque est de plus en plus socialement acceptable dans cette société du divin marché[11], fondée sur la réussite individuelle et la compétition.

Pour le psychiste d’inspiration psychanalytique, la dimension transférentielle sera ici essentielle, car il va s’agir d’accueillir cette solution, fut-elle psychotique. Dans la paranoïa, le Moi tient bon, le délire est structuré, cohérent, organisé et logique. Socialement viable est la paranoïa, compte-tenu de l’état de la société et du malaise dans la civilisation.

Quant à la PMD – ou trouble bipolaire- elle ne peut se réduire à une perturbation thymique, elle constitue une façon d’être au monde singulière, correspondant à des fantasmes d’objets, à des façons de penser et d’agir spécifiques.

Un détour par nos aînés en psychanalyse est incontournable.

Karl Abraham (1877-1925) était psychiatre, il se forma à la psychiatrie à la Clinique du Burgholzli sous la direction de Bleuler, grand maître de la psychiatrie à cette époque. Abraham s’intéressa à la PMD[12]et énonça quelques idées originales quant à sa compréhension. Il souligna le lien entre la pathologie bipolaire et le premier objet oral. Il faut rappeler que l’oralité maniaque se caractérise par un appétit de tout voir, tout entendre, tous embrasser, tout vivre ; délire de complétude passant par des fantasmes d’incorporation cannibalique.

En outre, dans une phase mélancolique, la libido du sujet va régresser, et, au niveau inconscient, le mélancolique va éprouver un désir d’incorporation vis-à-vis de l’objet perdu. Il veut avaler l’objet, et en l’incorporant en lui, il croit le détruire, alors que l’objet envahit son Moi, se fond en lui et le parasite. Abraham a évoqué le mauvais objet du mélancolique, il est mauvais parce qu’il a choisi un autre plutôt que le sujet. Ces ressentiments négatifs et empreints le plus souvent du délire de jalousie ne se réduisent pas à une haine de l’Autre qui a envahi son Moi, cet Autre intrusif logé en lui ; il y a sous-jacente, une idée de vengeance à l’égard du mauvais objet, parfois associé au fantasme de la mauvais mère. L’angoisse va s’associer à ces reproches et s’amalgamer à une jouissance mortifère. Il y a une jouissance mélancolique qui peut mener au suicide afin que se taise enfin cet Autre menaçant. Le sujet mettra aussi fin à ses jours pour se venger, en tuant l’objet incorporé qui fait Autre en lui. C’est ce qui peut arriver lors de cette catastrophe existentielle de la psychose : lorsque narcissisme et estime de soi s’écroulent. C’est ce que le psychiatre et psychanalyste Jean Oury appelait le point d’horreur du mélancolique[13].

Dans son ouvrage de 1915, « Deuil et mélancolie », Freud fait un rapprochement pertinent entre la clinique du deuil et celle de la mélancolie, tout en identifiant ses différences. Si le mélancolique a perdu l’estime de soi, ce n’est pas le cas dans le deuil classique ; en outre, dans le deuil, le sujet va progressivement retirer son investissement de l’objet perdu et se dirigera vers d’autres objets. C’est ce que l’on nomme un travail de deuil réussi.

Le mélancolique ayant perdu son objet d’amour prolongera le processus de deuil par une perte de l’estime de soi, par des autos-reproches où il se sent responsable de cette perte, on peut dire que le Moi est attaqué. Alors, non seulement il a perdu son objet libidinal, mais aussi son Moi qui lui est devenu étranger et détestable. De ce fait, le Moi est clivé entre une partie occupée par l’objet perdu et son deuil éternel (identification), et une partie accusatrice, vecteur de dépréciation et d’auto-reproches, petite voix intérieure désagréable,[14] instance critique d’un Surmoi féroce qui reprochera son infidélité et son abandon à la partie occupée par l’objet perdu : clivage psychotique.

Ainsi, le mélancolique se sent perdu, dans la déréliction abandonnique, à cause de la perte de l’objet (perdu) et c’est en tant qu’objet lui-même perdu qu’il va s’identifier à lui. Cette identification est narcissique et la PMD est -selon Freud- à classer dans les psychonévroses narcissiques, par opposition aux psychonévroses de transfert, telle que la névrose obsessionnelle. Ce même Freud identifiera trois catégories nosographiques : la névrose de transfert qui correspond à un conflit psychique entre le Moi et le « ça », la névrose narcissique qui est conflit entre le Moi et le Surmoi, et la psychose dans l’opposition entre le Moi et la réalité du monde extérieur. La PMD est un syndrome objectal et narcissique. Voyons ce qu’en dit Lacan. Dans l’approche clinique de la PMD, le « premier Lacan », psychiatre hospitalier d’orientation freudienne, ne divergera pas avec le père fondateur. Il fera sienne la théorie de l’objet perdu et identifiera plus tard, en 1956, dans le Séminaire IV sur « La relation d’objet »[15], les différentes catégories du manque : privation, frustration et castration[16].

A ce manque du sujet - ce manque à être- va correspondre une quête de satisfaction -déni face à l’inconscient- qui pourra mener, comme nous l’avons vu, jusqu’à la psychose hallucinatoire de désir – l’amentia – pour dénier la perte de l’objet. Le sujet va s’identifier à l’objet en tant que lui-même se vit comme un objet perdu et abandonné ; et si le mélancolique incarne l’objet perdu, à contrario, le maniaque s’efforcera de ne surtout pas l’être, il croit avoir l’objet dans la poche…le modèle théorique de l’objet @ se dessine à l’horizon…

Dans la crise maniaque avérée (et non l’hypomanie), l’Autre semble mis à l’écart alors qu’il jouit de son corps et le plonge dans une excitation démesurée, qui se montrera par la monomanie langagière, une métonymie infinie des signifiants, des associations libres de toute entrave par lesquelles le sujet « passe du coq à l’âne », la fuite idéelle, l’éparpillement et l’illogisme, l’hyper mobilité euphorique et enfin, le langage sans adresse qui ne représente pas le sujet. Il y a là un grave défaut du symbolique, consubstantiel à la psychose. La plongée dans la mélancolie comme solution à la crise maniaque sera tout autant morbide, avec des modalités différentes. Dans la béance laissé par l’objet perdu, le maniaque et le mélancolique ne font plus qu’un, même si chaque partie du Moi veut exclure l’autre. Ainsi, s’il n’y a pas de jouissance de l’Autre comme dans la névrose, c’est plutôt l’Autre qui jouit de lui. Dans les deux composantes de ce syndrome, Thanatos fait tronc commun car cette scène psychique, qu’elle soit mélancolique ou maniaque se déroule toujours dans cet « au-delà du principe de plaisir ».[17]

Les psychanalystes qui ne reculent pas face à la psychose (on ne s’ennuie jamais avec un maniaco-dépressif !) sont ceux qui ont accepté de ne pas savoir afin de se laisser enseigner par les psychotiques. Il y a beaucoup à apprendre de la folie. Le psychiste devra se mettre dans une position d’écoute active des signifiants du sujet à travers ses dires. Pour se faire, il faut être dans un état de disponibilité totale. C’est un travail de longue haleine, difficile et patient qui devra être complété par un traitement psychopharmacologique de confort.[18] Je ne suis pas opposé à ces molécules quand elles sont utilisées à bon escient et non comme camisoles chimiques, comme encore trop souvent.

Alors, à l’issue de cette thérapie plurielle adviendra un autre réel, celui d’un désir de vivre qui ne sera pas barré par l’ombre portée de l’objet perdu, et ce dernier sera congédié comme dans le deuil classique. Le sujet pourra passer à autre chose, passant du point d’horreur au point d’aurore.

Serge DIDELET, le 2/03/2023

 

 

 



[1]  Dans tous mes ouvrages, l’objet « a » est symbolisé par l’arobase (@). Il a le statut d’un signe car tout seul il représente quelque chose pour quelqu’un, alors que le signifiant ne représente le sujet que pour un autre signifiant. Le choix de l’arobase pour représenter l’objet cause du désir nous vient des travaux de Jeanne Lafont, transmis par Joseph Rouzel, psychanalyste à l’origine de l’association l’@Psychanalyse, à laquelle je suis affilié.

 

[2] A ce sujet, lire « L’intranquille » de Gérard Garouste, L’iconoclaste Paris 2009.

 

[3] Intuition de praticien psychiste ne prétendant pas à la scientificité.

 

[4] L’hypomanie est la version légère de la manie. Il s’agit d’un état de grâce stimulant où la vie semble valoir d’être vécue, c’est une manie tempérée, socialement acceptable. Je la qualifierai de « sublimation exacerbée ».

[5] Des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine.

 

[6] Le Pont de la Caille, situé en Haute Savoie est un pont suspendu d’une hauteur de 190 mètres.

 

[7] Unité de Soins Intensifs Psychiatriques (USIP).

 

[8] Cette hypothèse issue de mon expérience ne pourrait être valide qu’après une investigation poussée auprès d’un échantillonnage suffisamment signifiant de patients atteints de PMD. J’aimerais bien savoir ce qu’en pensent d’autres praticiens-psychistes. Comme l’écrivait en 2013 Joseph Rouzel : « En psychanalyse, il n’est pas de théorie qui ne soit tirée de sa propre expérience. D’où parfois les divergences, les dissonances. Ce qui fait de la psychanalyse une pratique soutenue par un discours inachevé et inachevable, toujours ouvert ». (J. Rouzel, « La prise en compte des psychoses dans le travail éducatif », ERES 2013).

 

[9] S. Freud, « Deuil et mélancolie » in « Métapsychologie », Gallimard 1968.

 

[10] J. Rouzel, « La folie douce », ERES 2018.

 

[11] Dany Robert Dufour, « Le divin marché », Denoël 2007.

[12] K. Abraham, « Préliminaires à l’investigation et au traitement psychanalytique de la folie maniaco dépressive et des états voisins », Œuvres complètes tome 1, Payot 1965.

 

[13] En y opposant le point d’aurore, lorsqu’advient le sujet.

[14] Une petite voix qui peut être source d’hallucinations auditives.

 

[15] J. Lacan, « La relation d’objet » (Séminaire IV), Editions du Seuil 1994.

 

[16] La frustration comme manque imaginaire d’un objet réel, la privation comme manque réel d’un objet symbolique, la castration comme manque symbolique d’un objet imaginaire.

[17] S Freud, « Au-delà du principe de plaisir » in « Essais de psychanalyse », Payot 1981.

 

[18] D’où la nécessité d’une thérapie transdisciplinaire. Le psychanalyste ne doit pas être seul dans la thérapie d’un sujet psychotique. L’idéal étant « la constellation transférentielle », à l’instar de la psychothérapie institutionnelle et de ses applications cliniques.

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06 février 2023

Psychanalyse, thérapies d'inspiration analytique et supervision clinique institutionnelle

Psychanalyste :

Je vous accueille sur rendez-vous au 23 rue de Savoie (2ème étage) à Sallanches (74720).

En cas d’urgence, je m’arrangerai pour vous recevoir dans les 24 heures…

Contact : 06.16.13.26.48.

 

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J’interviens sur site, à votre demande, pour :

-         Supervision clinique institutionnelle.

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Dans le champ social, médico-social, et sanitaire…

Mon cadre de référence est la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse.

Quelques références :

MDEF 74, IRTESS de Bourgogne, IREIS d’Annecy, service petite enfance de Passy, Centre Hospitalier Alpes -Léman (CHAL), Hôpitaux du pays du mont blanc (supervision médecine et pédiatrie), Secteur psychiatrique de l’est vaudois (Suisse), ADMR, ESAT de Sallanches, EHPAD(S) de : Bonneville, Cluses, Ambilly, Marnaz, Megève, LVA « La bergeronnette » (71), CEMEA Ile de France…

 

Contact : 06.16.13.26.48. /serge.didelet@wanadoo.fr

 

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22 octobre 2022

Séminaire de psychothérapie institutionnelle en juin 2023

« La psychothérapie institutionnelle, c’est la psychiatrie ! »

 L’association l’@Psychanalyse et le Groupe Psychanalytique de Sallanches (G.P.S.) organisent le samedi 10 juin 2023 un séminaire de psychothérapie institutionnelle, au CMP de Sallanches, 127 rue Cancellieri 74700 Sallanches.

Pour tous renseignements, s’adresser à Serge Didelet, psychanalyste à Sallanches, et superviseur d’équipes au 06.16.13.26.48. / serge.didelet@wanadoo.fr

Horaires : 9h-12h/14h-17h

Participation financière : 50 euros pour la journée.

Contenus : exposés suivis de discussions à propos de : la pathoplastie, les constellations transférentielles, la double aliénation, le collectif…

Public concerné : idéalement, toute personne qui travaille en psychiatrie publique ou privée, et tous ceux qui se sentent concernés par la psychiatrie, qu’ils soient professionnels ou non.

L’effectif maximum sera de douze personnes pour garantir la qualité des échanges.

Attestations de présence et factures peuvent être délivrées.

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11 octobre 2022

Une praxis de la psychanalyse

Ma praxis analytique (« Qu’est-ce que je fous là ? »)

 

Ce texte est la transcription de mon intervention au colloque de l’association l’@Psychanalyse les 8 et 9 octobre 2022 à Montpellier.

 

Rien dans ma trajectoire vitale ne me prédisposait à devenir psychanalyste. Je savais qu’il y avait un continent psychique puisqu’il me jouait régulièrement des tours, mais mes centres d’intérêt – et cela jusqu’au début des années 2000 – furent durablement la psychosociologie des groupes et des organisations, la sociologie clinique de Vincent De Gaulejac, l’approche transdisciplinaire du philosophe et sociologue Saul Karsz, l’analyse institutionnelle de René Lourau, et la révolution culturelle du temps libre de Joffre Dumazedier.

En d’autres termes, je marchais sur une jambe, j’étais unijambiste, j’étais à « cloche-pied », animé essentiellement par la jambe marxiste si l’on veut faire un clin d’œil à la métaphore tosquellienne sur la double détermination. Je travaillais dans le social, je réfléchissais sur le social, ignorant la psychogenèse et les déterminations psychiques, comme si j’avais peur de ce que je percevais imaginairement comme du nombrilisme complaisant et narcissique.

Pourtant, à l’aube des années 2000, j’ai vécu un glissement épistémologique par lequel je suis passé des groupes humains, et de ce qui s’y passe entre ses membres, à l’étude assidue et plurielle d’une métapsychologie freudolacanienne, et dans ce même élan, j’ai compris la double détermination de l’homme, cet assujettissement aux déterminismes psychiques et sociaux, ce que le psychiatre Jean Oury appelait la double aliénation.

Il faut dire que mon changement de milieu professionnel fut moteur dans cette mutation, et c’est ce qui généra l’assomption de ce nouveau désir qui ne va pas de soi : devenir analyste ! Après douze années de purgatoire à diriger divers établissements sociaux-éducatifs, je me suis immergé dans ce nouveau terrain, mettant les mains dans le cambouis du social pur et dur, celui de la misère du monde ; en travaillant dans le champ de la Protection de l’enfance, par un retour à la base comme éducateur dans un internat éducatif accueillant à plein temps des enfants abandonnés et abandonniques, parfois très carencés et déjà abimés par les vicissitudes de la vie, et certains victimes de violence familiale.

En même temps, et à 50 ans, j’entrais dans le continent analytique sans m’en rendre vraiment compte, animé par une immense soif de savoir, une grande capacité de travail, lisant les auteurs, écrivant des situations cliniques, participant à des cartels, fréquentant divers groupes de lecture, et assistant à des présentations de malades en milieu psychiatrique. J’apprenais aussi beaucoup des enfants que je côtoyais quotidiennement, j’ai même vécu un suivi au long cours avec un enfant étiqueté psychotique. Ce fut mon socle clinique.

Et puis il y a eu mes six années d’analyse avec Pierre Hattermann, cet ami disparu, mort des conséquences de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Je vous invite à lire mon texte, « l’ombre portée du disparu », vous le trouverez dans le livre « Une praxis de la psychanalyse » (pages 29 à 37), il s’agit d’un témoignage par lequel je lui rends un hommage mérité, je sais ce que je lui dois. Enfin, vous conviendrez avec moi que ce n’est pas ainsi que l’on achève son analyse, et, face à un lien transférentiel qui n’est pas dénoué, je cours le risque d’un transfert éternel. Depuis 2016, je m’en arrange.

Fin 2011, j’ai 57 ans et je romps définitivement avec le salariat, quand c’est insupportable on ne supporte plus ! Je suis animé d’un désir, celui d’intervenir sur site comme superviseur d’équipes, passant ainsi d’une hétéronomie mortifère à une autonomie libératrice. Ainsi, depuis 2012, j’ai animé des centaines de groupes. En 2015, un ami psychanalyste m’offre la possibilité de travailler à son cabinet quelques heures par semaine. C’est ainsi que j’ai accueilli mon premier « patient ». Je n’aime pas trop la terminologie de « patient » qui s’origine du monde médical, alors que je ne suis pas médecin. Le terme d’analysant est plus précis, bien que seuls certains sujets puissent y prétendre. Cela signifie que la personne est active, actrice-sujet de sa cure analytique, donc ça ne concerne pas tout le monde. Alors, faute de mieux, à l’instar de la plupart de mes pairs, j’utilise le mot « patient » un peu à regret, même si, je sais que dans certaines conditions, les séances peuvent être facteurs de soins et de réparation, comme quoi il y a une parole qui soigne.

Toutes ces considérations me renvoient à la question de la légitimité qui continuera toujours à me titiller, et c’est très bien ainsi. Il ne faut pas se prendre pour le SS, le sujet sachant ! J’ai mis du temps à oser dire que j’étais psychanalyste. A l’instar de J.B. Pontalis, je craignais l’imposture. Si j’appréciais beaucoup la formule lapidaire de Lacan comme quoi « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même », édulcoré peu de temps après par le rajout des « quelques autres », le jour où j’ai reçu ma première patiente en 2015, je ne m’y sentais pas trop autorisé et encore moins par moi-même. Il faut rappeler que l’analysant voulant devenir analyste est seul face à l’assomption de ce désir : devenir analyste, et cette idée s’est imposée à lui comme une évidence, comme elle s’est imposée à moi, pris dans l’imbroglio du transfert des mômes.

J’avais passé six années sur le divan, deux à trois fois par semaine, selon mes finances, et huit années à fréquenter des groupes de travail, à lire les auteurs, et si c’est mon analyste et quelques autres professionnels qui m’ont mis à cette place, puis les « patients » que j’ai reçus, et certains au long cours, cela ne donne pourtant pas une autorisation d’exercer, mais qui pourrait en donner une ? Certainement pas l’Etat, qui ne pourrait avec légitimité légiférer les modalités de cette relation si singulière ; et le singulier c’est ce qui fait exception. Peut-on, doit-t ’on légiférer l’exception ? Alors, c’est pour cela que s’il y a des diplômes en psychanalyse - et mêmes des doctorats-, il n’existe pas de diplômes de psychanalystes.

Voilà qui renvoie à l’idée de « la passe », cette dernière dévoyée par les post-lacaniens de la Doxa, car elle ne se réduit plus qu’à une commission d’agrément par lequel un jury d’experts se prenant pour le grand Autre, vérifie si le passant connait bien son catéchisme lacanien. Je caricature à peine ! Il existe d’autres façons de faire « passe ». Le passant, dans ce processus qui le mènera métaphoriquement du divan au fauteuil, pourrait organiser un séminaire ou un cartel, écrire des articles ou des livres, intervenir dans des colloques, diverses manières d’une mise à l’épreuve de ce que le « je » du « passant » peut engager dans l’acte de transmission de la praxis psychanalytique. Si peu à peu, j’ai accepté de me présenter comme psychanalyste, sur ma plaque il est indiqué « psychanalyse » et non « psychanalyste », pirouette empruntée à Joseph Rouzel, afin de détourner ce sentiment d’imposture un peu dérangeant. Pourtant, je sais maintenant que là où il y a de la psychanalyse, il y a un psychanalyste, c’est-à-dire un « sujet supposé savoir » et des transferts entrelacés, celui de l’analysant, capable de vous appeler en pleine nuit de désarroi, et celui de l’analyste, appelé maladroitement contre transfert, un transfert que l’analyste ne saurait ignorer, car, qu’il le veuille ou non, il est agi par lui.

Evoquons les séances : un observateur invisible dirait qu’il s’agit de conversations où l’on parle de tout, ça pourrait même être ennuyeux, enfin, la parole est libre et sans entraves. C’est ce que Tosquelles appelait la déconniatrie : « Racontez tout ce qui vous passe par la tête ! ». Dans l’espace clos et secret du cabinet de psychanalyse, une parole duelle se déploie à travers le temps des séances, de 45 minutes à une heure, c’est ma temporalité, en synergie avec ce hors-temps de l’inconscient entre deux séances par lequel le travail continue, à l’insu des deux protagonistes qui vont certainement rêver. Le sujet-analysant peut découvrir peu à peu ce qui l’a entravé et déterminé, lui permettant peut- être pour la première fois de parler en son nom propre, de dire « je », c’est ce que Lacan appelait « l’effet-sujet » ; quand le sujet de l’inconscient rencontre enfin l’étranger qui vit en lui

La psychanalyse est une praxis, ce mouvement itératif entre le vécu, la pratique et la pensée. La praxis, c’est l’action, c’est faire, et ce faisant se faire ; c’est la pratique théorique de Louis Althusser, et, selon Lacan, ce qui permet de transformer le réel en symbolique. La psychanalyse est un champ pluriel marqué par les divisions, les replis identitaires, le patriotisme d’organisation, et certaines associations psychanalytiques sont de véritables sectes vivant dans le fantasme de la forteresse assiégée avec des regroupements annuels à huis clos !

Parlons de la formation du psychanalyste, faite des formations de l’inconscient. Outre ma cure analytique, dans mon apprentissage de psychiste, j’ai puisé dans diverses sources, et cet éclectisme m’a permis de faire des choix et de ne pas m’enfermer dans une pensée unique. Après quelques années de fréquentations de diverses instances de « l’Ecole de la Cause », je suis redevenu un électron libre, ayant peu de goût pour le culte des chefs et les systèmes pyramidaux. J’y ai fait cependant de très bonnes rencontres et j’ai découvert le monde de Lacan en lisant plusieurs de ses séminaires, accompagné de pairs et d’un « plus-un ».

Adhérer à l’@Psychanalyse, c’était pour moi la possibilité d’une inscription symbolique auprès de personnes avec qui j’avais des affinités, et la création de cette association est ce que j’attendais de ses fondateurs après l’expérience éphémère de « Psychanalyse sans frontières ». Une association est un dispositif pour soutenir un certain rapport à la psychanalyse. Être membre de l’assoce, c’est pour moi être un membre actif, même si je suis loin de Montpellier. C’est être dans « l’agir », avec la possibilité d’échanger, de déployer des idées, de participer, d’être partie prenante, de prendre part, c’est-à-dire oser prendre parti, au-delà des consensus mous. C’est la possibilité de faire partie d’un groupe tout en gardant son identité, voire son étrangeté légitime, pour paraphraser le poète René Char. En outre, et si j’ai adhéré dès le départ à cette association d’obédience lacanienne, je ne prétends pourtant pas être lacanien, même si je sais O combien Lacan a augmenté et approfondi la pensée freudienne. Chez Lacan, j’ai envie de dire « que j’y ai fait mon marché », j’en ai retiré ce qui m’aidait dans ma compréhension de la psychanalyse, conscientisé que cela se confondait le plus souvent avec ce que j’y comprenais, c’est-à-dire, ce que, en langage lacanien, j’avais pu « attraper » ! D’où mes réticences à l’égard de son ultime enseignement…

Cependant, Lacan ne représente pas toute la psychanalyse. Peut-on ignorer les enseignements de Winnicot, de Bion, de Klein, de Ferenczi, et même certains concepts de Carl Gustav Jung ? Ne voulant pas m’enfermer, j’ai fait le choix de l’éclectisme. Si je devais me définir comme analyste, et ce serait forcément réducteur, je dirais que si je suis d’orientation freudolacanienne, je suis aussi un hétérodoxe car je n’ai aucun goût pour la pensée unique. Par amitié pour le regretté Jean Oury, je dirais bien que je suis « ouryen » (et non « ou rien » !), sans me vouer pour autant au culte de la personnalité du « Grand Jean ».

Quelques mots sur ma pratique en cabinet laquelle ne m’occupe que quelques heures par semaine. Cette activité ne se fonda pas dans un but lucratif, même si elle m’apporte un complément de revenus. En 2015, il s’agissait surtout pour moi d’aller au bout d’une longue démarche impliquante, une bonne décennie étant nécessaire pour générer un analyste débutant. Tout au long de ce processus, il y a eu, chevillé au corps, un désir de transmission, transmission d’une posture à tenir, un savoir « être avec », à travers l’invention de mon propre style ; et dans cette transmission il n'y a pas seulement la transmission d’un corpus théorique, il s’agit de transmettre une praxis, celle qui consiste à accueillir « ce qui ne va pas », et peu à peu, au fil des séances, permettre au sujet d’advenir à son désir inconscient : « Wo es war, soll ich werden » énonçait Freud.

Pour cela, je viens de le dire, j’ai mon style. Il me semble que le cadre analytique, avec son théâtre ritualisé et à huis clos, induit trop souvent un manque de réciprocité. Avec un sujet en analyse de façon régulière et durable, l’analyste que je suis, sous l’influence de mon transfert vers l’analysant, s’efforce de réduire cette dissymétrie laquelle, me semble t’il est un frein à l’avènement du désir du sujet. La réduire renforce l’alliance thérapeutique et la confiance réciproque. Voici encore des signes de mon hétérodoxie, et si elle est liberté, elle n’exclue pas la rigueur, qui ne signifie pas rigidité. Ainsi, pour exemple, ayant rêvé d’une analysante, il m’est arrivé de lui raconter mon rêve et de le décrypter avec elle, mais elle n’est pas n’importe qui : Il s’agit d’une analysante que je rencontre chaque semaine depuis trois ans et qui a toute l’étoffe d’une future analyste.

Voilà ce que je fais depuis 2015, animé d’un désir, le désir de l’analyste, désir du désir de l’autre, et ça me fait associer avec la question ontologique tosquello-ouryenne : « Qu’est-ce que je fous là ? ». Voilà une question essentielle à laquelle je ne me déroberai pas. Je suis un professionnel de la relation d’aide qui se fout pas mal de la neutralité bienveillante. Les « patients » du cabinet, « je roule pour eux », je les soutiens, il m’arrive même et de plus en plus souvent de les « réparer », enfin…de leur redonner le sourire et foi envers une vie qui vaudrait la peine d’être vécue, comme quoi une certaine forme d’intervention analytique n’est pas étrangère au soin.

Pour comprendre, il faut contextualiser : la moitié de mes patients sont des psychistes qui sont salariés d’un établissement public psychiatrique situé en Haute Savoie. Cet établissement, à l’instar de beaucoup d’autres, connait une grave dérive managériale où s’impose en force une quantophrénie mortifère, s’illustrant par l’obsession gestionnaire, le culte de l’obéissance, la mise au pas des équipes, et le diktat d’une Direction paranoïaque et violente, au détriment de la prise en soin.

Il faut dire que majoritairement, les Directions d’établissements psychiatriques ne se démènent pas pour le bien-être de leurs patients, ni de leurs professionnels. Ce n’est pas leur problème que l’hôpital soit hospitalier. Ils travaillent pour les ARS, pour le ministre de la Santé, et pour l’optimisation de leurs ratios de fonctionnement ; et ces énarques de la santé publique qui ne connaissent rien à la psychiatrie tiennent à garder leur place de chiens de garde, comme les appelait le regretté Pierre Bourdieu.

Résultat : dans l’impossibilité de travailler, les psychologues d’orientation analytique vivent une souffrance éthique intolérable, et beaucoup d’entre-eux ont démissionné afin de ne pas continuer à être complices d’un établissement qui dans le meilleur des cas, ne pratique plus qu’une psychiatrie vétérinaire.

Autres résultats : hémorragie de certaines catégories de personnel et fortes difficultés de recrutement, durée moyenne des hospitalisations incroyablement courte pour favoriser le « turn over » des patients (mais une schizophrénie, ça demande plus que 21 jours !), fort taux d’absentéisme, recrudescences des pratiques d’isolement et de contention, et un nombre inquiétant de suicides de patients dans certains services.

Alors, j’accueille en supervision des psychologues en très grande détresse, leur santé à un moment fut même engagée, et j’en parlerai plus longuement dans un prochain texte. En outre, des séances d’analyse, avec d’autres professionnelles, se transforment actuellement en consultation de souffrance au travail, comme quoi, et selon l’adage, il faut vivre avec son temps, même si, à l’instar de l’écrivain Henry Miller, je dirais que c’est le temps des assassins. Il s’agit d’une période marquée par le nihilisme thérapeutique et le culte de l’évaluation. La psychiatrie contemporaine se caractérise majoritairement par une négation de l’orientation relationnelle du soin psychique, substituée par la psychopharmacologie, l’éducation thérapeutique et la généralisation des pratiques coercitives. Nous sommes dans le primat de la thèse neurobiologique : l’être humain se réduirait à un cerveau, une machine à traiter de l’information, et si nous logeons toutes les causalités dans le cerveau, cette option scientiste réduit l’être parlant à un organe mutique.

La folie n’existe pas et les maladies mentales seraient des maladies comme les autres : cette banalisation annonce la mort de la psychiatrie si les professionnels ne réagissent pas unanimement et notamment les psychiatres.

Aujourd’hui hégémonique, la thèse neurobiologiste prétend s’imposer à toute conception relationnelle des soins, à la psychanalyse et à tous ceux qui y puisent une orientation humaine telle que la psychothérapie institutionnelle. Cette nouvelle cérébrologie soutenue par les ARS, légitime la mise sous tutelle administrative des pratiques de la parole, elle postule le tout neuro, et la médicalisation outrancière de la maladie psychique, afin d’engraisser Big Pharma !

Comme le disait Jean Paul Sartre à la fin de sa vie : « On a raison de se révolter ! »

 

 

Colloque de l’association l’@Psychanalyse, les 8 et 9 octobre 2022.

 

 

 

Mots-clés : double aliénation, passe, désir de l’analyste, transfert, praxis analytique, soin psychique, souffrance au travail, hétérodoxie, psychiatrie, peste managériale, cérébrologie.

 

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11 août 2022

Psychanalyse et supervision d'équipes

Psychanalyste :

Je vous accueille sur rendez-vous au 23 rue de Savoie (2ème étage) à Sallanches (74720).

Psychanalyse et thérapies d’inspiration analytiques. Thérapies par le rêve éveillé.

En cas d’urgence, je m’arrangerai pour vous recevoir dans les 24 heures…

Contact : 06.16.13.26.48. 

 

Superviseur certifié :

J’interviens sur site, à votre demande, pour :

-         Supervision clinique institutionnelle.

-         Analyse des pratiques professionnelles.

-         Groupes de parole.

-         Analyse institutionnelle.

-         Formations.

Dans le champ social, médico-social, et sanitaire…

Mon cadre de référence est la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse.

Quelques références :

MDEF 74, IRTESS de Bourgogne, IREIS d’Annecy, service petite enfance de Passy, Centre Hospitalier Alpes -Léman (CHAL), Hôpitaux du pays du mont blanc (supervision médecine et pédiatrie), Secteur psychiatrique de l’est vaudois (Suisse), ADMR, ESAT de Sallanches, EHPAD(S) de : Bonneville, Cluses, Ambilly, Marnaz, Megève, LVA « La bergeronnette » (71), CEMEA Ile de France…

 

Contact : 06.16.13.26.48. /serge.didelet@wanadoo.fr

 

 

 

Serge Didelet est né en 1954. Il a été ce qu’il est convenu d’appeler génériquement « un travailleur social » durant les quarante années de sa trajectoire professionnelle. Il fut acteur en divers champs : l’éducation populaire – par la pratique de la montagne - avec des jeunes de banlieue, le tourisme social et familial, l’animation socio-culturelle, et, pendant une décennie, l’éducation spéciale avec des jeunes abandonniques, puis les dernières années, la formation et l’animation de séminaires (sur le transfert dans la relation éducative, sur Louis Althusser, sur Jean Oury, sur l’aliénation…). Titulaire du Diplôme des Hautes Etudes en Pratiques Sociales (Paris III Sorbonne), psychanalyste et superviseur d’équipes (certifié PSYCHASOC) il anime des groupes de parole dans le social et le médico-social, il intervient comme formateur dans les centres de formation de travailleurs sociaux. Serge Didelet est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont notamment : « Jean Oury… Celui qui faisait sourire les schizophrènes », préfacé par Joseph Rouzel, Champ social Editions, juin 2017. A lire avant qu’il ne soit épuisé.

Contact : serge.didelet@wanadoo.fr/ 06.16.13.26.48.

Blog : www.praxis74.com

 

 

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01 juillet 2022

Point de chute

C’était dans les prémices de la décennie 90, je ne sais plus trop quelle année ; le drame s’est déroulé un soir d’été où l’orage menaçait.

Il s’appelait Jean Vednarek, les familiers l’appelaient Jeannot, sexagénaire solide, d’origine polonaise, il faisait la plonge depuis plus de deux décennies dans cette maison familiale de vacances dans laquelle j’étais le Directeur. Concrètement, j’étais le chef (un chef non-chef !) d’une équipe pluridisciplinaire composée de quinze personnes. Une maison de vacances, c’est comme un hôtel où – outre le gîte et le couvert – l’on permet aux vacanciers d’accéder à des activités sportives et culturelles, et notamment des sorties diverses en montagne : nous sommes au pied du Mont blanc. Ces maisons de vacances étaient l’émanation d’un mouvement né à la fin de la Seconde guerre mondiale : le tourisme social et familial. Autre époque où, avec quelques collègues, étions animés d’une éthique : que le temps libre ne soit jamais un temps vide.

Depuis qu’il occupait cette place de plongeur, Jean en avait vu défiler, des directeurs. Je fus le dernier. Quelques années auparavant, j’étais alors animateur spécialisé, et avec bienveillance paternelle, il m’avait vu gravir les échelons de la promotion socio-professionnelle. De ce fait, nous nous connaissions un peu et nos relations étaient amicales.

Il avait de l’allure, le jeannot, toujours impeccable et rasé de près, il mesurait plus d’un mètre quatre-vingts, il avait même le coup de poing facile si quelqu’un le cherchait ; il faut dire qu’il avait passé cinq années à la Légion étrangère ! Il avait l’air du mec qu’il ne faut pas chercher, mais je sais que c’était une carapace sociale, car il était très gentil. Les vacanciers l’aimaient bien, il faut dire qu’il « faisait partie des meubles », comme il l’énonçait souvent avec fierté. Du fait de son ancienneté, il était la mémoire de l’établissement.

Il passait l’essentiel de ses jours de repos hebdomadaires dans divers bars du coin, il jouait aux cartes et buvait « sec », il était l’objet d’une soif inextinguible ! Le soir, je le voyais souvent revenir, sa Mobylette avait l’air de connaître la route et le ramenait toujours à bon port, il roulait à dix à l’heure, tête baissée, signes tangibles qu’il était dans les vignes et que la journée avait été chargée. Dans cette situation, il évitait tout le monde, prenait l’ascenseur au sous-sol et direction sa piaule au cinquième étage, retour à la case de départ !

Il occupait une petite chambre mansardée, sous le toit, son univers faisait neuf mètres carrés, dans lequel étaient réunis toutes les traces de sa vie : photographies de ses filles, de ses petits-enfants, de la Légion, où il avait fière allure avec son képi blanc. Sa chambre était toujours propre et bien rangée, c’était son lieu de vie et il y tenait.

J’ai appris par la rumeur que depuis quelques temps il déprimait, consécutivement à un ultimatum de la DRH qui lui avait annoncé son départ imminent à la retraite. Il avait 62 ans, et de cette retraite, il n’en voulait pas, il voulait continuer à travailler au moins jusqu’à 65 ans. Un jour, il m’avait confié que la perspective de partir d’ici était pour lui très angoissante. Sa vie était ici, dans ses neufs mètres carrés, avec ses copains en ville, ses filles qui n’étaient pas loin, et son travail en cuisine. Il ne voulait pas se déraciner à nouveau, il savait ce que cela voulait dire, ayant quitté la Pologne à 18 ans, premier « débranchement » … « Pour aller où ? » m’a-t-il dit. « Mes filles ne peuvent pas me prendre chez elles, les loyers sont hors de prix, je ne sais pas où aller. Avant de partir d’ici, il faudrait que je me trouve un point de chute ! »

C’était un samedi de juillet, grosse journée pour moi où se croisaient les flux de vacanciers, une centaine partait, une centaine arrivait. J’ai croisé Jean dans l’après-midi, j’ai trouvé qu’il avait le teint jaune et l’air sinistre. Vague échange langagier, le protocole social minimal : « Ça va ? – ça va ! », propos vides de sens qui ne disent rien du sujet et dont depuis j’ai horreur.

Vers 19h30, alors que le service de restaurant avait commencé, une collègue de travail, affolée, m’annonce que Jean est couché dans la rue, étalé sur la route et qu’il a l’air inconscient.

Je me rends sur les lieux. Il est couché sur le dos, et, insolite, une chaussure lui manque. Il râle, et je pense à un comas éthylique, alors je le place en position latérale de sécurité et je demande à ma collègue d’appeler les pompiers. L’orage gronde, il y a un vent impétueux qui tournoie en entraînant des feuilles, des grosses gouttes commencent à tomber sur nous, alors je demande que l’on m’apporte une couverture afin de le protéger.

Du chalet presque mitoyen une femme sort, l’air affolé. Elle me dit qu’elle l’a vu tomber, et je crois comprendre qu’elle l’a vu tomber de sa hauteur, comme un homme pris de boisson ; mais elle insiste, et me dit qu’elle l’a vu enjamber le balcon et qu’il a sauté du dernier étage. Je lève machinalement la tête, cinq étages, ça fait bien dans les quinze mètres. Comment est-ce possible alors qu’il a l’air intact, il ne saigne même pas du nez !?

Il ouvre les yeux, semble me reconnaître, puis les referme en marmonnant des phonèmes incompréhensibles. Les pompiers arrivent, professionnels et efficaces. Matelas coquille, minerve, perfusion, oxygène. Ils l’emmènent à l’hôpital. Je suis hagard… d’émotion…de stress…rincé par la pluie. J’apprendrai un quart d’heure plus tard que Jean est mort pendant son transfert à l’hôpital.

Il avait trouvé son point de chute…

 

 

 

Serge DIDELET, le 1er juillet 2020

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16 juin 2022

Des signes ostentatoires de désespérance?

« Ces livres venus sur le tard, « L’avenir d’une illusion » et « Le malaise dans la civilisation » ne sont peut-être pas aussi nourris que les précédents ; mais ils sont plus poétiques. Ils contiennent moins de science démontrable, mais plus de sagesse (…) C’est comme si, pour la première fois, derrière le regard scrutateur, surgissait l’être humain si longuement dissimulé qu’est Sigmund Freud.

Mais ce regard qui contemple l’humanité est sombre ; il est devenu tel parce qu’il a vu trop de choses sombres ; continuellement, pendant cinquante ans, les hommes n’ont montré à Freud que leurs soucis, leurs misères,, leurs tourments et leurs troubles, tantôt gémissant et interrogeant, tantôt s’emportant, irrités, hystériques, farouches ; toujours il n’a eu affaire qu’à des malades, des victimes, des obsédés, des fous ; seul le côté triste et aboulique de l’humanité est apparu inexorablement à cet homme durant toute une vie. Plongé éternellement dans son travail, il a rarement entrevu l’autre face de l’humanité, sereine, joyeuse, confiante, la partie composée d’hommes généreux, insouciants, gais, légers, enjoués, bien portants, heureux. Il n’a rencontré que des malades, des mélancoliques, des déséquilibrés, rien que des âmes sombres. Sigmund Freud est resté trop longtemps et trop profondément médecin pour n’en être pas arrivé peu à peu à considérer toute l’humanité comme un corps malade. Déjà, sa première impression, dès qu’il jette un regard sur le monde du fond de son cabinet de travail, fait précéder toutes recherches ultérieures d’un diagnostic terriblement pessimiste : « Pour toute l’humanité, de même que pour l’individu, la vie est difficile à supporter. »

Stefan Zweig, « Sigmund Freud, la guérison per l’esprit », Le livre de poche 2021.

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16 mars 2022

Mort d'un homme de qualité...

Le « président » Alain Krivine est mort samedi 12 mars, à Paris, à l’âge de 80 ans, a appris Le Monde auprès de sa famille. « Président », c’était le surnom affectueux que lui donnaient ses amis en souvenir de cette élection présidentielle de 1969 où un bidasse portant cravate – il effectuait alors son service militaire comme deuxième classe au 150e régiment d’infanterie de Verdun –, un peu raide, la tignasse et le regard sombres, se revendiquant du mouvement de Mai-68, s’était présenté au suffrage des électeurs tout en dénonçant la « duperie » des élections. « Le pouvoir n’est pas dans les urnes », professait celui qui débutait chacune de ses interventions télévisées par : « Pour la première fois, un candidat révolutionnaire s’adresse à vous… »

Né le 10 juillet 1941 à Paris, Alain Krivine est issu d’une famille de juifs ukrainiens émigrés en France après les pogroms antisémites de la fin du XIXe siècle. Entré à 17 ans aux Jeunesses communistes, l’organisation de jeunesse du Parti communiste français (PCF), où militent également ses quatre frères, il exprime son désaccord avec la ligne politique d’un parti qui rejette l’indépendance de l’Algérie. Il rejoint une organisation clandestine, Jeune résistance, qui multiplie les actions pour inciter les jeunes soldats à refuser d’aller faire la guerre en Algérie. C’est sa première expérience du militantisme radical, qui va rapprocher de la IVInternationale trotskiste ce militant modèle, éduqué dans le creuset de la famille communiste, et va l’amener à rompre avec le stalinisme.

« Gagné à la cause »

Alain Krivine est discrètement cornaqué par des responsables trotskistes du Parti communiste internationaliste (PCI), dont Pierre Franck, ancien secrétaire personnel de Trotski, lorsqu’il devient un des dirigeants du Front universitaire antifasciste (FUA), créé en réaction au putsch d’Alger du 22 avril 1961. Le 23 mars 1962, une charge de plastic explose devant la porte de l’appartement de son père, le docteur Krivine, spécialiste en stomatologie, provoquant d’importants dégâts.

Bien qu’étant déjà « gagné à la cause » du trotskisme, il continue à militer au sein de l’opposition de gauche à l’Union des étudiants communistes (UEC). Animateur du secteur Sorbonne-lettres de l’organisation liée au PCF, il se bat pour le « droit de tendance » et la « déstalinisation » du parti. Le congrès de mars 1965 donne lieu à de violents accrochages. Orateur éloquent, à l’ironie mordante, Alain Krivine interpelle à la tribune les gardiens de la ligne. Un an plus tard, le « secteur », qui a notamment refusé de soutenir la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1965, contrairement à la direction du parti, est exclu de l’UEC.

Alain Krivine et les militants de « Sorbonne-lettres » créent alors la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), qui jouera un rôle important dans les mobilisations contre la guerre au Vietnam puis pendant les événements de Mai-68. Alain Krivine, dont le frère, Jean-Michel, chirurgien, a pris part à deux commissions d’enquête médicales au Vietnam, est un des fondateurs du Comité Vietnam national au côté du mathématicien Laurent Schwartz. La JCR, si elle se réclame du trotskisme, se veut ouverte aux courants nouveaux du marxisme et notamment à ceux qui ébranlent le tiers-monde (castrisme, guévarisme…) et la jeunesse occidentale. Elle établit de nombreux contacts avec les dirigeants de mouvements révolutionnaires de pays étrangers comme Rudi Dutschke en Allemagne ou Tariq Ali en Angleterre. Lorsqu’en 1968 commencent les premières secousses de ce qui allait se transformer en grève générale et ébranler le pouvoir gaulliste, Alain Krivine est secrétaire de rédaction à mi-temps chez Hachette. Il déserte rapidement son poste pour s’immerger dans le mouvement. Le service d’ordre de la JCR forme l’ossature de celui de l’UNEF lors des principales manifestations de Mai-68. Les cadres de la JCR jouent un rôle d’encadrement et d’animation, notamment lors de la « nuit des barricades », le 10 mai, ou de la tentative de jonction entre étudiants et ouvriers chez Renault, le 17 mai, violemment repoussée par les bataillons de la CGT et du PCF.

Après que le pouvoir gaulliste a repris la main, la JCR est dissoute par décret du 12 juin. Alain Krivine entre alors dans une semi-clandestinité. Il est appréhendé le 16 juillet en compagnie de sa femme, Michèle, fille de l’ancien secrétaire général adjoint du Parti socialiste unifié (PSU) Gilles Martinet. Inculpé pour « maintien et reconstitution de ligue dissoute », il est écroué pendant cinq semaines à la prison de la Santé avant d’être remis en liberté provisoire sur les instances du nouveau ministre de l’éducation nationale, Edgar Faure, qui essaie de se ménager une rentrée « apaisée ».

En avril 1969 naît la Ligue communiste. Au côté d’Alain Krivine, ses principales figures s’appellent Daniel Bensaïd, Henri Weber et Charles Michaloux. Présenter un candidat à l’élection présidentielle est un véritable défi. « Nous voulons faire entendre la voix révolutionnaire de mai et juin 68 à la télévision, expliquent ses jeunes dirigeants. Cette candidature révolutionnaire tendra à dissiper les illusions électoralistes et parlementaristes du PC. Nous voulons rompre avec cette vision et affirmer une force sur la gauche du PC. »

Au premier rang des contestations

Des personnalités des milieux intellectuels, littéraires et artistiques – comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Michel Leiris, Maurice Nadeau – lancent un appel en sa faveur. La ligue parvient à recueillir 230 signatures d’élus pour parrainer son candidat, plus du double du nombre requis, cent à l’époque. Alain Krivine bénéficie alors d’une « permission spéciale ». Après avoir mené « une campagne rouge », comme le nom de l’organe de presse, Rouge, dont s’est dotée la jeune formation, il recueillera un peu plus de 1 % des voix. Il sera de nouveau candidat en 1974, après la mort de Georges Pompidou, et récoltera un maigre 0,37 %. « Je n’ai pas été élu président de la République. Il m’a toujours manqué 99 % des suffrages », aimait-il répéter.

Entre-temps, la Ligue communiste a été dissoute après qu’elle se fut opposée par la force, le 21 juin 1973, à un meeting du mouvement d’extrême droite Ordre nouveau contre « l’immigration sauvage »Alain Krivine est de nouveau interpellé, inculpé d’infraction à la loi anticasseurs et écroué à la Santé. Appuyé par un fort mouvement de soutien, il est libéré cinq semaines plus tard.

Révolutionnaire, il l’est resté toute sa vie, ça ne lui est pas passé avec l’âge – contrairement à ce que dit le titre de ses Mémoires, parus en 2006, Ça te passera avec l’âge (Flammarion). Il a traversé plus d’un demi-siècle sans jamais dévier de la conviction que « la révolution est possible », qu’« il n’y a jamais eu autant de raisons de se révolter », attentif à tous les mouvements de contestation susceptibles de contribuer à l’émancipation sociale, de faire bouger les lignes du mouvement ouvrier. « Le véritable bonheur pour tout homme digne de ce nom, c’est de participer, conscient, à toutes les luttes d’émancipation », déclarait-il en 1973 alors qu’il s’apprêtait à prendre part une nouvelle fois à l’élection présidentielle, où il fait campagne sur le thème « ni trêve ni compromis ».

De Lip aux comités de soldats, des mouvements féministes aux mobilisations lycéennes et étudiantes, des manifestations internationalistes aux combats antiracistes et antifascistes, du soutien aux sans-papiers aux actions pour le droit au logement, des coordinations aux soubresauts du mouvement syndical, sans négliger les tribunes électorales, l’organisation dirigée par Alain Krivine, devenue Ligue communiste révolutionnaire (LCR) en décembre 1974, a été de tous les terrains de lutte. Avec l’obsession constante de « faire bouger les choses » et de « trouver un débouché politique aux mouvements sociaux », le dirigeant trotskiste – même s’il n’aimait pas ce terme – a tenté de semer « les graines d’une nouvelle gauche, ni social-démocrate ni stalinienne », inlassablement prêt à s’enflammer malgré les reculs, les échecs et les déceptions.

Sur tous les fronts de contestation, Alain Krivine était au premier rang, toujours disponible, toujours prêt à « donner un coup de main aux camarades », à exploiter son impressionnante liste de contacts pour populariser une initiative, à servir de relais pour élargir le champ des soutiens. Le mouvement social de l’hiver 1995 insuffle une énergie décuplée à une LCR qui pense pouvoir rencontrer un écho plus large auprès de nouvelles couches radicalisées.

Premier mandat électif

Aux élections européennes de 1999, la LCR fait liste commune avec Lutte ouvrière (LO). Alain Krivine est en deuxième position derrière l’emblématique porte-parole de LO, Arlette Laguiller. La liste recueille plus de 5 % des voix et obtient cinq élus. A 58 ans, celui qui a déjà derrière lui plus de quarante ans de militantisme politique occupe un premier mandat électif. L’élection au Parlement européen, outre la découverte du monde politique institutionnel, lui permet de disposer de moyens supplémentaires et d’embaucher un assistant parlementaire. Pendant un an, c’est un jeune militant syndicaliste de La Poste, Olivier Besancenot, qui occupera cette fonction.

En 2002, Alain Krivine le convainc, non sans mal, d’être le candidat de la LCR à l’élection présidentielle. Le jeune postier recueille 4,25 % au premier tour d’une élection qui voit le candidat du PS, Lionel Jospin, éliminé du second tour, qui met aux prises Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Cinq ans plus tard, Olivier Besancenot est de nouveau candidat à la présidentielle et obtient plus de 4 % à l’issue d’une campagne qui soulève un engouement sans précédent pour un candidat d’extrême gauche. La Ligue décide de se dissoudre pour céder la place à un Nouveau Parti anticapitaliste plus à même, espère-t-elle, d’élargir l’audience de l’ancienne formation trotskiste.

Une nouvelle génération prend le relais. Alain Krivine a pris du champ et n’exerçait plus de responsabilités politiques, mais il restait toujours présent. Bien qu’il ait fait valoir ses droits à la retraite en 2004, il continuait encore, bien après, à occuper un bureau au-dessus de l’imprimerie Rotographie, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), et à distiller ses conseils : « Siempre presente. » Une vie de révolutionnaire… sans révolution.

 

Alain Krivine en quelques dates:

10 juillet 1941 Naissance à Paris

1958 Entre aux Jeunesses communistes

1966 Exclu de l’Union des étudiants communistes

1967 Création de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR)

1969 Création de la Ligue communiste

1969 Candidat à l’élection présidentielle

1974 Candidat à l’élection présidentielle

2006 Publie « Ça te passera avec l’âge » (autobiographie)

2009 Dissolution de la Ligue et naissance du Nouveau Parti anticapitaliste

2022 Mort à l’âge de 80 ans

 

 

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04 février 2022

Une praxis de la psychanalyse

 

Ce texte est extrait de l'ouvrage collectif "Une praxis de la psychanalyse" qui vient d'être publié chez l'Harmattan, sous la direction de Joseph Rouzel et sous l'égide de l'association " l'@Psychanalyse". En vente en ligne ou chez votre libraire préféré.

 

L’ombre portée du disparu

 Être psychanalyste, c’est assumer une place singulière, où, celui qui veut bien l’occuper, accompagne ceux qui apprennent « sur le tas » ce que parler veut dire, et qui désirent – via les mots – s’affranchir de ce que ces mêmes mots ont gravé en eux et à leur insu, comme autant de déterminismes faisant peu à peu routines et habitus, systèmes de dispositions acquises, tout ce qui entrave la liberté du sujet et accroit son aliénation. A l’issue d’une analyse menée à son terme, le sujet vit souvent un sentiment de libération, accompagné de l’assomption d’une inévitable solitude, et ainsi le travail analytique peut se prolonger alors dans un processus d’émancipation sociale à travers l’exercice de sa propre citoyenneté. Le sujet, grâce au long travail de cure, n’est plus rempardé dans des identifications mortifères et moïques : il peut enfin dire « je », il peut, avec plus d’aisance, aimer et travailler, c’est-à-dire vivre une vie qui vaut la peine d’être vécue.

Quel fut l’impact de mes six années de cure analytique, à savoir presque 500 séances de cinquante minutes sur le divan de Pierre Hattermann ? C’est de ça dont j’ai envie de parler, dans la mesure où – outre la formation théorique – je ne m’autorise à pratiquer la psychanalyse qu’à partir d’un savoir expérientiel, celui que j’ai pu extraire de ma propre cure. Il faudrait avoir l’espace et le temps afin d’historiciser, pouvoir retracer mon itinéraire de psychiste, expliquer comment tout a commencé, tout en tenant compte que si le cadre de cet ouvrage fait barrage à l’exhaustivité, il a le mérite d’exister.

D’abord, à l’aube du XXIe siècle, mon vécu d’un glissement épistémologique : comment, et à partir de mon intérêt au long fleuve pour la psychosociologie des groupes et des organisations, ainsi qu’à l’analyse institutionnelle, j’en étais arrivé à l’étude systématique et plurielle d’une métapsychologie freudo lacanienne. La sociologie clinique et compréhensive (De Gaulejac 1990) m’avait rapproché de la problématique psychique, car pour celle-ci, l’individu, sujet déterminé par les rapports sociaux, est le produit de son histoire sociale, familiale et professionnelle ; et s’il est sujet, c’est surtout parce qu’il est assujetti aux déterminismes tant psychiques que sociaux, ce qui renvoie aux théories de la double aliénation (Oury, Tosquelles). Cependant, l’individu étant le produit de son histoire, il en est aussi le producteur et il cherchera souvent à en devenir le sujet de son historicité, celui qui peut dire « je », parler en son nom propre. L’objet de cette épistémè est l’articulation des conflits psychiques et sociaux, ce qui renvoie à la métaphore des « deux jambes tosquelliennes ».

Depuis ma jeunesse post soixante huitarde – années de plomb et de poudre ! -, je boitais, marchant sur une seule jambe, celle de Marx et du social ; dès le début de l’année 2000 je me suis mis à marcher sur deux jambes, la deuxième étant celle où les trumains ne sont pas maîtres en la demeure, la jambe freudienne et psychique que j’avais négligé, la trouvant peut-être nombriliste. C’est ainsi qu’à cinquante ans, j’entrais dans le continent analytique, animé par une inextinguible curiosité intellectuelle, une grande capacité de travail et un désir qui, peu à peu, prenait toute la place. C’est la nature même de mon activité professionnelle qui généra l’assomption de ce nouveau désir. Après douze années de purgatoire à diriger des établissement sociaux-éducatifs, j’ai délibérément quitté ce que je vivais le plus souvent dans le conflit de rôle, afin de m’immerger dans le terrain, me salir les mains dans le cambouis du social, celui de la misère du monde : en travaillant comme éducateur dans un foyer accueillant à plein temps des enfants carencés, abandonnés, abandonniques, et certains, victimes de violence familiale.

C’est ainsi que j’ai commencé ma formation de psychiste, en partageant le pain quotidien de la misère, de la pulsion, de la folie. Veiller à l’harmonie d’une vie de groupe tout en respectant la singularité de chaque-un et qu’elle soit prise en compte. Plus tard, loin du regard panoptique de l’Autre de l’établi (L’établi, l’établissement, l’institué…le plus souvent en position surmoïque…), j’ai parfois utilisé des espaces interstitiels en pratiquant une forme d’analyse profane avec certains enfants qui désiraient se confier et parler avec moi. Cette activité était apocryphe, et les seuls à qui j’ai pu en parler étaient mon analyste et ma compagne de l’époque.

J’ai commencé ma propre cure analytique en 2010. Je m’y rendais deux fois par semaine, c’était sérieux, je le vivais comme un sacerdoce. Je notais tous mes rêves et racontais le déroulement des séances dans un carnet. C’est d’ailleurs entre deux séances qu’opérait un travail inconscient dont le contenu manifeste était formé de rêves que j’essayais de traduire comme un rébus. Le travail analytique stimulait les productions oniriques et la propension à rêver : je rêvais beaucoup. Si j’avais déjà le désir de devenir analyste – je l’avais formulé – je ne voulais pas m’encombrer de cette représentation-but, et, refusant l’aspect réducteur d’une analyse didactique, je voulais vivre pleinement et jusqu’à son terme une analyse traditionnelle. Porteur de symptômes, je voulais y voir plus clair et mettre de l’ordre dans mes désirs, puis accéder à un savoir insu, en arriver à dire ce que je ne savais pas : « Wo es war, soll ich werden », où était le « ça », le « je » doit advenir, en d’autres termes, dépasser la pulsion, la détourner de son but, l’amener « à la dignité de la Chose", savoir sublimer et connaître la liberté de l’effet-sujet, et pourquoi pas se faire acteur d’une vie nouvelle ? Ecrire des livres et les soutenir face à un auditoire ? Traversée du fantasme…

Pierre Hattermann venait de Strasbourg, l’Alsace était son berceau familial. Etudiant en DEA à l’UFR de psychologie clinique, il fut un des meilleurs élèves du professeur Lucien Israël, très inspiré par Lacan. Pierre était psychologue clinicien, psychanalyste, superviseur d’équipes et formateur. Au milieu des années 80, il s’installa en Haute Savoie, fonda un Centre de formation à la psychanalyse (GREFO PSY), anima des conférences, et un séminaire mensuel sur Lacan qui regroupait parfois jusqu’à 25 participants. C’est avec lui et quelques autres que nous fondâmes l’ACLIS, association pour une clinique du lien social. C’était un homme fédérateur, un créateur de liens, et je dirai, un homme de bien. Il m’ouvrit en grand les portes de son réseau, je peux dire qu’il m’a vraiment accueilli ; c’est ainsi que durant une décennie, j’ai fréquenté assidument des groupes de lecture, des cartels, des « présentations de malades » en milieu psychiatrique, et j’ai lu encore plus que d’ordinaire, réduisant mon temps de sommeil à cinq heures par nuit.

J’étais dans une dynamique de formation-action, processus itératif entre le réel de la cure et la métapsychologie freudienne, augmentée par Lacan : apprentissage d’une praxis par les formations de l’inconscient, un travail au long cours, une dizaine d’années étant nécessaires à l’avènement d’un psychanalyste débutant. De ce fait, et outre mes deux séances hebdomadaires sur le divan, je voyais et côtoyais souvent Pierre dans ces diverses instances de travail. Certains orthodoxes lacanoides lui ont reproché d’occuper toutes les places ; quant à moi, je sais qu’il assumait pleinement sa position. En fonction de l’instance, il savait toujours d’où il parlait, et lors de nos séances, il a toujours su garder sa place d’analyste, et moi la mienne.

En 2015, j’ai vécu la destitution du « sujet supposé savoir », l’analyste faisant pour moi fonction d’« objet cause du désir », c’est-à-dire incarnait le manque, une béance, un trou dans ma demande initiale de complétude : être plus équilibré, me débarrasser des symptômes qui me font souffrir, des répétitions cycliques…guérir ! Mais peut-on guérir de la vie ?

Si Pierre m’avait patiemment et talentueusement accompagné, il n’était pas le sauveur suprême, si je voulais me sauver, c’est à moi seul qu’incombait de faire ce travail nécessaire à ma libération.

J’ai vécu quelques temps dans un sentiment de désenchantement, comme si j’avais été trompé par le symbolique, me conscientisant du fait qu’après plusieurs années de cure, force m’était d’admettre qu’il n’y aurait jamais d’Autre tout puissant qui pourrait combler le mal-être de ma vacuité, ma mauvaiserie et mes déchirures. L’Autre était barré, et l’objet perdu depuis toujours était perdu, j’étais seul depuis ma naissance, et il me fallait assumer ce ressenti de ratage dans la symbolisation du réel, mais du fait de l’insatisfaction, je demeurais désirant, preuve que la cure analytique relance le désir. En outre, à l’instar de la devise inscrite au frontispice du Temple de Delphes, j’avais beaucoup progressé dans le « Connais-toi toi-même », je connaissais mieux mon fonctionnement, mes impasses relationnelles, mes répétitions du même et du m’aime, je pouvais les dépasser, tendre vers un peu plus de transcendance, et au bout du compte, devenir quelqu’un d’augmenté, allant à contre-courant du chemin entropique, architectonie de la nécropole : « Deviens ce que tu es ! » (Nietzsche)

 Au-delà de l’impression d’arnaque, je sentais en moi souffler comme un vent libérateur, comme si s’ouvrait en grand le champ des possibles, comme si m’avaient poussé des ailes du désir.

Au début de l’été 2016, à l’issue de six années d’analyse, nous évoquons la même hypothèse : celle de la fin (provisoire) de cette cure analytique, cette conjecture s’impose à nous, et nous convenons d’un accord mutuel, celui de nous donner encore une année, toute l’année 2017 : le moment de conclure et de piloter ce passage du divan au fauteuil, car depuis peu, je recevais quelques rares « patients » au cabinet qu’un ami voulait bien partager avec moi.

Par anticipation, Pierre me proposa de devenir ensuite mon superviseur pour m’accompagner dans ce travail thérapeutique, ainsi que dans mes supervisions sur sites : effet de passe parmi d’autres. L’idée de la passe qui s’origine à Lacan a été dévoyée, c’est un échec, et dans la plupart des associations lacanoides, elle est devenue une commission d’agrément sous l’égide d’un jury de « chefs » qui est là surtout pour vérifier si le passant connait bien son catéchisme lacanien, qu’il a bien intégré le jargon de la secte. Si l’analysant désire passer du divan au fauteuil, c’est parce que cette idée s’est imposée à lui comme une évidence. Comme l’énonçait Lacan, « Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même », et cet énoncé indique que l’analysant est seul dans l’assomption de ce choix : devenir analyste. Un peu plus tard, sans doute pour édulcorer son propos, Lacan rajoutera « et de quelques autres », lesquels sont les pairs que côtoie le postulant dans les diverses instances de travail. Par effet de passe, ces « quelques autres » mettront l’analysant à la place symbolique d’analyste, sans pour autant lui délivrer une autorisation d’exercer. Il me semble qu’il y a bien d’autres façons de faire passe, que ces passes institutionnelles face à un jury : tenir un séminaire, organiser un cartel, écrire des articles ou des livres ; mises à l’épreuve de ce que le « je » va engager dans ce processus : la transmission de la psychanalyse.

Le 13 juillet 2016 au matin, je ne savais pas que je vivais ma dernière séance avec Pierre, j’ignorais que je ne le reverrai jamais. Pierre quant à lui ignorait qu’il allait être victime le lendemain soir d’un attentat sur la Promenade des Anglais, à Nice, que sa vie allait s’arrêter à 56 ans.

 Le pauvre…lui qui manifestait tant de joie, à la perspective de partir trois semaines en Corse avec son épouse et ses gosses, après une longue année de travail. Après le feu d’artifice, la famille Hattermann comme beaucoup d’autres, fut prise dans la trajectoire du camion djihadiste. Françoise, sa femme, et Elouan, son fils mourront sur le coup. Léane sera juste blessée et devra vivre à 13 ans la perte de ses parents et de son frère. Pierre décédera le 4 août après trois semaines de coma, et, compte tenu de la gravité de ses lésions, ce fut sans doute préférable pour lui…et puis, aurait-il pu survivre à un tel deuil ?

L’homme qui me connaissait mieux que ma mère a disparu dans les limbes d’avant sa naissance, emportant avec lui les arcanes de mon fonctionnement psychique ; c’est un vrai dépouillement, une érosion du Moi, je me sens nu, impuissant, diminué, vulnérable.

C’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris les diverses définitions que donne Lacan du Réel : l’impossible, l’insymbolisable, l’indicible, ce qui fait effraction, intrusion. Oui, le Réel c’est l’impossible, car il est impossible à imaginer et il est irréductible à l’ordre symbolique et ça ne cesse pas de ne pas s’écrire. Pendant les trois semaines d’attente angoissée, entre l’attentat et le décès de Pierre, j’oscillais entre sidération et déni. C’est au moment de la cérémonie de sépulture, avec deux cents petits autres, que je pris la perte de plein fouet. Alors, je me suis senti orphelin, submergé par les sanglots du chagrin de l’enfant enfoui en moi. Les cinq années qui suivirent ponctuèrent un processus conduisant de la perte à l’absence, ce que l’on nomme travail de deuil : du choc du réel à la symbolisation de la réalité.

Pendant l’été 2016, tout fut bouleversé. Ce n’est pas ainsi que l’on arrête son analyse, et ce coup d’arrêt est préjudiciable et injustifiable. Ce fut – et demeure – difficile de vivre avec ce parcours analytique inachevé, avec de surcroit ce lien transférentiel qui n’est pas dénoué. Si, par la destitution du sujet supposé savoir, la représentation que je me faisais de l’analyste avait été modifiée, le transfert était toujours là et la mort de l’analyste ne pouvait pas correspondre à la liquidation du transfert, mais à contrario ne pouvait que le raviver, voire au risque même de vivre un transfert éternel. Je pense chaque jour à Pierre, cet absent qui ne cesse pas d’être absent. C’est un devoir de mémoire, une façon de l’immortaliser.

 Derrière moi, il y a l’ombre portée de Pierre Hattermann, elle n’est pas menaçante ni inquiétante, elle est paternelle, douce et veillante.

Symboliquement, Pierre n’est pas mort. Le groupe de lecture qu’il animait s’est perpétué et se regroupe mensuellement : c’est le GPS (Groupe psychanalytique de Sallanches), association de fait, qui regroupe quelques psychistes ; psychiatres, psychologues, enseignants spécialisés, psychanalystes, pour une pratique de bavardage autour de la lecture de textes théoriques, d’ouvrages éclectiques, de faits d’actualité. Pierre y occupe une place vide, et je suis perçu implicitement comme le garant de l’existence du groupe.

Entre lui et moi, il y a eu transmission. La psychanalyse participe à un processus de transmission ; non pas d’un contenu, d’une somme d’enseignements à caractère « uni-vers Cythère », mais de la transmission d’une posture à tenir, celle d’un savoir être avec, voire d’un désir, désir du désir de l’Autre, le désir de l’analyste. Il s’agit de la transmission d’une praxis, la praxis psychanalytique, cette mise à l’épreuve de la pensée sur la réalité, processus itératif entre théorie et pratique – la pratique théorique d’Althusser – qui est, selon Lacan dans le séminaire XI, « « Le terme le plus large pour désigner une action concertée par l’homme, quelle qu’elle soit, qui le met en mesure de traiter le réel par le symbolique. Qu’il y rencontre plus ou moins d’imaginaire ne prend ici que valeur secondaire ».

La praxis désigne la pratique, c’est-à-dire les activités qui ne sont ni contemplatives, ni théoriques, mais qui transforment le sujet. Praxis nous vient du philosophe Aristote (IVe siècle avant JC) et du grec ancien prattein : faire…et ce faisant, se faire.

Si la praxis analytique est depuis toujours en butte à de nombreux détracteurs, c’est parce qu’elle dérange en affranchissant les sujets de leurs déterminations, qu’elle les rend plus libres, dans cette société normosée où sans cesse reculent les libertés individuelles. N’en déplaise aux normopathes de la Haute Autorité de Santé qui voudraient l’éradiquer, la psychanalyse a sauvé des milliers de personnes depuis qu’elle existe, et continue de le faire. A cinquante ans, elle a donné un second souffle à ma vie alors que j’étais en proie à l’instinct de mort, et englué dans des impasses mortifères répétitives.

Alors, que faire ? Soutenir et transmettre !

 

Serge Didelet, le 6/11/2021


 

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14 janvier 2022

La double aliénation

 

Ce texte est la retranscription de mon intervention au colloque « Marx et Freud » de l’association l’@psychanalyse, du 9 octobre 2021, à Montpellier.

 

« Je suis venu vous parler de la double aliénation. Parce que l’aliénation est double. S’il y a une aliénation sociale qui impacte tout le monde insidieusement, certains sujets sont touchés par une aliénation psychopathologique, ou transcendantale, qui concernerait, selon les statistiques, une personne sur cent, ce qui n’est pas rien.

 C’est François Tosquelles qui disait que la schizophrénie était un collapsus de la transcendance. Un collapsus, c’est l’indication d’une diminution, d’un déficit, la transcendance est un mouvement d’élévation, un dépassement de soi, par conséquent, il s’agit donc d’une baisse, voire d’un effondrement de la conscience qu’un sujet peut avoir de lui-même.

 Cette double aliénation renvoie au leit motiv de ce colloque, avec toute la journée, en filigrane, les personnages emblématiques de Marx et Freud, ces deux barbus qui ne sourient pas trop, comme l’évoquait Gérard Pommier. La première aliénation, dans la lignée théorique de Marx et Engels, par l’entrée du sujet dans l’ordre social ; la deuxième, dans le droit-fil d’une métapsychologie freudo-lacanienne, par l’entrée du sujet dans l’ordre du langage de l’Autre -avec un grand A- et de la problématique du désir.

 Il ne s’agit pas de confondre les deux composantes qui ont leurs propres déterminations, mais dans notre travail de psychiste, nous savons d’expérience que les deux plans se rejoignent, s’imbriquent, s’articulent en certains points nodaux qu’il est nécessaire d’identifier, mais pour se faire, il sera nécessaire d’être doté d’outils conceptuels permettant de penser ensemble le singulier et le pluriel. Afin de lever d’hypothétiques confusions, nous remarquerons – et c’est important – que la problématique « tosquello-ouryenne » de la double aliénation s’oppose aux théories simplificatrices de l’Antipsychiatrie du temps de Laing et Cooper, pour qui les psychoses n’étaient que des artefacts induits par l’organisation sociale, impactant la psyché des individus.

 Jean Oury n’appréciait pas d’être régulièrement assimilé à l’Antipsychiatrie, laquelle n’était pour lui qu’une simplification pseudo révolutionnaire, voire réactionnaire. Rejetant tout traitement possible des psychoses – certains d’entre-eux niaient même leur existence -, les « antipsychiatres » préconisaient la fermeture totale des lieux de soins psychiatriques. C’est ainsi qu’un peu plus tard, l’Etat français instrumentalisa les mots d’ordre de l’Antipsychiatrie, en supprimant 60 000 lits en quatre décennies. Au nom d’une déviation de l’esprit du secteur inspiré par Bonnafé, on a vidé les hôpitaux psychiatriques, laissant les malades mentaux face à l’alternative entre la rue et la prison, c’est-à-dire les lieux de l’atopie…ne pas avoir de place, c’est de la ségrégation ; et c’est toujours d’actualité. La majorité des malades psychotiques sont dans la rue ou en prison

 Ce n’est pas en supprimant des lits que l’on va soigner les écorchés de l’existence. Le Dr Oury préconisait une transformation radicale des hôpitaux psychiatriques afin qu’ils deviennent des lieux ouverts et collectifs. Il ne voulait surtout pas les supprimer et jeter les fous à la déréliction de la rue. La folie – cette catastrophe existentielle consubstantielle à l’humain - a besoin de lieux d’accueil, de terres d’asile, de territoires adéquats.

Recentrons-nous sur notre objet annoncé : la double aliénation, et qu’en est-il, de ce concept d’aliénation ? Une question qui mérite une déconstruction alliée à une démarche définitionnelle.

Il s’agit là d’une notion ambigüe, polysémique, problématique, elle nous renvoie le plus souvent à l’idée d’avoir perdu son libre-arbitre, sa liberté de raisonner, d’être autonome. Étymologiquement, l’aliénation vient d’« aliénus » - qui appartient à un autre – et d’ « alienatus », l’individu qui ne s’appartient pas à lui-même, celui qui est hétéronome. « Plusieurs termes sont utilisés pour parler de l’aliénation… certains avec des racines latines, et d’autres, des racines germaniques. « Alienatio » s’employait au XIIIe siècle dans un sens juridique. Au XVe siècle, on parle « d’alienatio mentis », c’est la folie. Plus tard, on parle « d’alienare » qui veut dire « étranger », et à cette époque-là, « alienatio » veut dire étrangeté, hostilité » (Jean Oury).

 Si – comme l’énonçait Lacan « le désir du sujet est le désir de l’Autre », il y a une forme primitive de l’aliénation, c’est-à-dire l’aliénation à l’Autre maternel. Du fait de sa prématuration, le petit d’homme se retrouve dans une situation d’hétéronomie absolue vis-à-vis de sa mère, et il a intérêt à être aimé, à être aimable, s’il veut survivre. Il devra passer sous les fourches caudines du grand Autre maternel, et il désirera qu’un petit autre devienne un grand Autre qui le désirera lui-même, l’infans désirera le désir de l’Autre maternel. Cette dépendance hétéromorphique sera l’aliénation primordiale, comme quoi parfois, l’aliénation aurait du bon…à condition d’en sortir, un jour…

Ce chemin précoce d’aliénation le mènera, avec les années, à une plus grande liberté. Cette plus grande liberté, c’est la séparation, laquelle, pour y parvenir, passe par un chemin difficile, balisé par les diverses modalités du besoin, du désir et de la demande, et de la triangulation œdipienne, quand il y a quelqu’un pour « faire père ».

Lacan identifie la Mère à la Chose (das Ding), c’est-à-dire l’objet perdu de la jouissance première – l’expérience de satisfaction inaugurale - qui déclenche le désir. Le désir est marqué par le manque et il sera toujours le désir d’autre chose, le désir étant la métonymie du manque à être, et ses objets interchangeables, et il en sera ainsi tout au long de la vie. Le désir se fait par force captif du langage, le sujet est dans la nécessité de s’aliéner à l’ordre symbolique afin d’exister. Comme l’écrivait Lacan : « Or, il convient de rappeler que c’est dans la plus ancienne demande que se produit l’identification primaire, celle qui s’opère de la toute-puissance maternelle, à savoir celle qui non seulement suspend à l’appareil signifiant la satisfaction des besoins, mais qui les morcelle, les filtre, les modèle aux défilés de la structure du signifiant».

Le symbolique rend possible l’absence, il est le meurtrier de la Chose… un meurtre nécessaire : le sujet non dupe aux signifiants se condamne à l’errance de la psychose, ou au non-être (supposé et apparent) des autistes profonds : « Les non-dupes errent ».

C’est ainsi qu’à leur façon, les autistes disent « merde » au grand Autre, refusant avec frénésie, de passer sous le joug des structures langagières. De ce refus et de cette liberté, ils en paieront le prix fort.

Demeure un éventail de significations de l’aliénation selon les divers contextes. En outre, le verbe « aliéner » renvoie aussi à la possibilité d’aliéner l’esprit de l’autre, voire de le rendre fou. L’aliéné peut aussi être compris comme le sujet sans lien avec l’Autre sociétal ; il sera alors traité comme un a-social, un a-normal, c’est-à-dire étranger (alien), différent, dissemblable à la norme médiane.

Par association, cela évoque l’aliénisme - premier nom de la psychiatrie, les premiers psychiatres étaient des aliénistes -, et l’aliénisme se définissait comme une science médicale toute neuve – discours univoque de la raison sur la folie – entre le XVIIIe et le XIXe siècle, moment historique important où les techniques coercitives de la vie asilaire se transforment peu à peu, par des interventions persuasives, voire manipulatrices et comportementalistes, afin de ramener l’insensé vers plus de normalité.

Ce fut le traitement moral de la folie (Pinel et Pussin, Bicêtre 1795), remplaçant les chaînes par la normopathie et la rééducation sociétale. L’hôpital psychiatrique structuré en pavillons nosographiques, remplace l’asile d’aliénés, trop connoté négativement. Comme le disait Jean Oury : « Dans la mise en place des soins psychiatriques, tout est basé sur des systèmes absurdes d’organisation collective, les mêmes que ceux de l’école, de la prison, de la caserne ou au mieux du patronage et… du Club Méditerranée».

L’aliénation marque l’œuvre de Marx. Pour ce dernier, l’aliénation est d’abord de nature économique et sociale, dans la mesure où le prolétaire, contraint de vendre sa force de travail (au prix le plus bas), est dépossédé du sens même de ce travail, car le travail est parcellisé et divisé, c’est ce que Marx et Engels appellent la division sociale du travail. Le prolétaire est de plus dépossédé de ce qu’il produit dans la mesure où n’en étant pas propriétaire, il ne possède que sa force de travail, c’est-à-dire la capacité à s’auto-reproduire. En l’occurrence, c’est ainsi que les capitalistes déterminent le niveau du salaire minimum : que le prolétaire puisse à minima auto-reproduire sa force de travail. Se nourrir, se loger…mais rien de prévu pour la culture ou les loisirs !

 Par conséquent, dans la société capitaliste, exploitation de l’homme par l’homme, l’aliénation est double ; par une dépossession à la fois économique et psychologique qui n’est pas sans effets : voir la perception (imaginaire) de soi, souvent malheureuse, cette souffrance au travail qui grandit, au point que la Médecine du même nom, depuis quelques années, a ouvert des consultations (gratuites) de ce nouveau mal de vivre sociétal, et les thérapeutes n’y chôment pas, compte-tenu d’une recrudescence des pathologies anxiodépressives causées par un mal-être au travail qui se banalise ; une activité professionnelle qui peut devenir pathogène pour le sujet ; en d’autres termes, un travail aliénant, voire mortifère, dans la mesure où elle convoque la pulsion de mort.

Depuis deux ans, je rencontre deux fois par mois des psychologues cliniciennes en supervision. Il s’agit de deux professionnelles expérimentées, animées d’une forte éthique du soin et du sujet, elles travaillent en pédopsychiatrie publique. Nous parlons rarement de cas cliniques. Elles se sont emparées de cette supervision comme d’un remède contre une violence institutionnelle vécue au quotidien, elles ont même trouvé un autre remède qui est le mi-temps thérapeutique. C’est vous dire ! C’est l’illustration d’un paradoxe de plus en plus répandu, celui de l’établissement thérapeutique qui rend malade ses propres agents !

L’aliénation est un concept qui fait lien entre le registre individuel et celui du social ; d’où le concept « tosquello-ouryen » de l’aliénation double. Comme l’énonçait Jean Oury en 1996 : « Nous sommes profondément et ontiquement aliénés. Et Lacan a bien raison de dire : une des premières aliénations, c’est le langage même (…) Je disais en 1948, pour répondre à Bonnafé, que j’avais fait la distinction, déjà, entre deux aliénations : l’aliénation sociale, très complexe, et une autre, l’aliénation psychotique ».

Et quand Jacques Lacan énonce « L’inconscient, c’est le social », cette assertion n’est au final pas si énigmatique qu’au premier abord ; il voudrait seulement dire que les conditions sociales d’existence impactent l’appareil psychique, de même que Marx pensait que c’était les conditions sociales d’existence qui déterminaient la conscience, comme quoi Marx n’était pas étranger à Lacan. Freud lui-même, à l’aube de la psychanalyse, avait compris que toute psychologie était une psychologie sociale.

Dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle – et particulièrement avec Oury – l’aliénation occupe une place centrale, il y consacrera son séminaire à Sainte Anne en 1990-1991. Il distinguera l’aliénation sociale de l’aliénation psychopathologique, et cette distinction est une prise de position fondamentale, antidote au courant antipsychiatrique qui considérait la folie comme la conséquence de l’aliénation sociale. Or, cette sociogenèse hypothétique est, il faut en convenir une simplification réductrice. Il est vrai que les conditions sociales d’existence déterminent la psyché de chaque-un, dans sa singularité subjective à les vivre. Manifestement, la société peut rendre fou, voire pousser aux suicides. Il faut se rappeler les 35 suicides à France Telecom en 2008. Cependant, dans l’Antipsychiatrie est trop évacuée la psychogenèse et, quoi que Laing et Cooper pourraient en dire s’ils étaient encore vivants, est minorisée l’importance de la sexualité, laquelle interfère sans cesse sur la réalité psychique. C’est cette problématique de la sexualité qui fit le lit de la rupture entre Jung et Freud, rupture que l’on peut maintenant regretter, de même que celle avec Ferenczi…

Pour Oury, l’aliénation sociale agit insidieusement, par le vecteur de l’idéologie avec une grande violence, et dans les institutions psychiatriques, ce n’est pas sans dommages sur les malades eux-mêmes. Lorsque j’évoque l’idéologie, je fais référence à la définition qu’en donne Louis Althusser : « l’idéologie comme représentation du rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d’existence », et par association, ça me fait penser à Saul Karsz quand il énonçait, dans les années 90, le leit motiv central de son séminaire : « L’idéologie et l’inconscient font nœud », mais je m’égare un peu. Enfin, pour conclure, il serait nécessaire et salvateur, de mettre en place dans les établissements thérapeutiques les conditions d’une analyse institutionnelle permanente qui ferait asepsie : celle qui traque l’aliénation, ses artefacts, et autres toxines psychosociales. Dans ces conditions fertiles, l’établissement peut alors – telle la chrysalide du papillon – devenir institution, grâce à un travail d’institutionnalisation : un supplément d’âme pour un établissement de soins, sachant que – comme le disait Marc Ledoux, psychanalyste à La Borde - l’institution est le phallus de l’établissement ».

(Serge Didelet, le 22/09/2021)

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