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PRAXIS 74 . Travail social et psychanalyse.

Un monde sans fous?

Un monde sans fous ?

 

Pour ceux qui n'ont pas encore pu le voir, voici  un résumé (et commentaires) du film de Philippe Borrel :

 

Des SDF meurent dans la rue ; souvent ce sont des malades mentaux. On a fermé beaucoup de lits dans les hôpitaux psychiatriques sans créer les alternatives ambulatoires correspondantes.

 

Et puis, voilà qu’on ne parle plus de maladie, mais de déviance. Des déviances par rapport à des normes. (Comme l’avait annoncé Michel Foucault, les normes ont remplacé les interdits.) Des malades mentaux se retrouvent en prison après un parcours balisé devant des juges qui n’ont pas le temps d’examiner réellement leur situation.

 

On a abandonné le soin centré sur la personne qui prend du temps pour le remplacer par des techniques de réadaptation au travail qui sont plus rapides.

Mais, cela se fait au prix de ne plus écouter la personne, mais simplement de chercher à renforcer ses performances sociales et corriger son comportement.

 

Et puis on compte sur les progrès des neurosciences pour agir sur le cerveau. On va stimuler le cerveau pour créer un bonheur artificiel. On réduit l’humain à sa dimension biologique. (La psychiatrie, c’est aussi la relation, le contexte).

 

D’ailleurs, déjà la psychiatrie américaine a établi une médicalisation de nos conduites avec le DSM : nos difficultés, qu’on peut facilement classer en de multiples catégories sont considérées comme des troubles auxquels on s’efforce de faire correspondre un médicament. Nous sommes devenus la proie de nouveaux marchés infinis.

 

Et nos enfants aussi, chez lesquels on cherche à prédire les troubles de conduite futurs sans prendre en considération que leur développement dépend des rencontres qu’ils feront et des liens qu’ils tisseront avec les autres.

 

Nos hôpitaux font passer la gestion avant la médecine ; on ne protocolise plus seulement les procédures, mais les hommes eux-mêmes. (La démarche appelée « qualité » est en fait une standardisation selon les principes industriels.)

 

Et il faut limiter les coûts, donc on réduit le personnel. D’où une insécurité à laquelle on répond par la contention. Les nouveaux instruments des soins (dans cette nuit sécuritaire) sont les sangles, les caméras, les bracelets électroniques, les mesures d’enfermement (et maintenant, moins coûteux, les traitements obligatoires à domicile.)

 

Et puis les entreprises, dans leur guerre économique, sélectionnent les hommes. Elles excluent les uns en faisant appel à des killers, elles malmènent les autres par un management par la peur et en pousse un certain nombre au suicide. Mais c’est rabattu sur le compte de l’individu qui est considéré comme seul responsable de ce qui lui arrive.

 

Et puis rentabilité oblige, on va étendre le concept de santé mentale à toute la population pour réduire le coût de l’absentéisme et des soins. L’entreprise va s’occuper elle-même de notre réadaptation pour nous remettre le plus vite possible en état de marche (Fonda-Mental).

 

Les problèmes sociaux sont eux aussi médicalisés ; plus de travail ni d’argent : devant l’absence d’issue, certains envisagent le suicide. Là encore, c’est considéré comme un problème médical.

 

Il n’est plus question de solidarité sociale. (N’est-on pas en train de transférer progressivement l’aide publique vers le privé ?) Et ce sera réservé à ceux qui ont un revenu. Voilà pourquoi nous avons tant de nos semblables dans la rue.

 

Commentaires :

 

Alors ce meilleur des mondes est-il aussi enthousiasmant que semblent le penser la présidente de Fonda Mental, ou le Professeur qui fait visiter le futur Institut de Recherche sur le Cerveau ?

 

Et si nous écoutions ces fous qui nous disent qu’il faut savoir prendre son temps ?  Ne sont-ils pas plus sages ?  (Le véritable outil du soin psychique, c’est le temps disponible pour écouter l’autre.)

 

Que faire face au monde froid des experts évaluateurs ? Ils nous disent que nous sommes engagés dans une guerre économique. Nous serions les troupes de cette guerre économique, des troupes manipulées par leurs mots, par leur idéologie du marché total, de leurs démarches d’évaluation et de qualité où seules les apparences comptent. Et chacun d’entre nous, pour être plus performant doit être l’entrepreneur de lui-même, dans une compétition de chacun contre tous.

 

Face à ce monde glaçant, ne faut-il pas renforcer le monde sensible, celui où nous pouvons avoir des relations chaleureuses grâce à l’écoute des autres, grâce à la prise en compte des souffrances et des plaisirs, à la confrontation de nos expériences, à la réalisation de nos désirs dans un monde convivial ?

 

Le sort réservé aux plus faibles augure mal de notre futur à tous si nous nous laissons séduire par ces promesses marchandes et sécuritaires. Mais nous pouvons restituer de l’humanité autour de nous en ne négligeant pas notre propre humanité. La défense des valeurs universelles passe par celle des plus faibles. Et ce qui arrive à la psychiatrie, aux fous, c’est ce qui nous attend. 

 

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