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PRAXIS 74 . Travail social et psychanalyse.
19 avril 2017

Créateur de sens au pays de l'Administrature.

En première ligne sur le front du Réel.

Ce n’est pas la première fois que j’ouvre ce blog aux textes de mon ami Eric Jacquot, responsable du Lieu de vie « La Bergeronnette ». Il y est mon invité permanent. D’abord, c’est affaire d’affinités, parce que nous partageons un grand nombre de convictions et de valeurs, et puis j’aime bien le personnage, atypique, non conformiste et haut en couleurs ; ensuite, parce que j’apprécie son style d’écriture, plutôt inimitable, celui de la déconniatrie, comme l’aurait dit le psychiatre François Tosquelles. En outre, et comme l’évoquait si justement une amie psychanalyste, ses écrits sont des palimpsestes : sous l’écrit, un autre écrit ; et comme Eric est peintre de surcroit, sous le tableau, un autre tableau. Sous les pavés, la plage ? Ça fait penser au « chien qui dort sous la peau de la mer » dont nous parle Joseph Rouzel dans un ouvrage sur la supervision.

Comme le décrié et talentueux Céline, Eric Jacquot écrit comme il parle, et quand il parle, il pense tout haut, et parfois, il pense vite, il faut suivre. Comme sur le divan, il métaphorise, associe avec la plus grande liberté, métonymise, contextualise, s’armant de références et autres clin-d’oeils plus ou moins apocryphes, à coups de « rentre-dedans » et autres signifiants caustiques comme la soude, art brut d’une écriture du plus de jouir, laquelle ne se départit jamais de l’humour, qui est comme l’écrivait Boris Vian, la politesse du désespoir. Ecriture-manifeste, pamphlétaire, impliquée, ça fait penser à Roger Gentis, c’est à la fois poétique et politique, ça mêle texte et hors-texte, c’est animé d’un souffle instituant créatif tendance border line. Au risque de déplaire, Eric utilise « le langage du front », car avec ses collègues et amis, il est en première ligne sur « le front du Réel », ce qui explique qu’il n’est pas compris par ceux qui utilisent « le langage de l’arrière », celui du pouvoir, de ceux qui n’y « mettent pas les mains », celui des énarques et ceux qui scrutent la réalité à travers le DSM-V et le prisme de leurs tableaux Excel et autres résultats financiers. Il y a le langage des tranchées, celui des poilus – chair à canons - ; il y a le langage des généraux, des nantis, des bureaucrates, et des banquiers.

Epreuves, exorcismes : Eric écrit souvent afin d’exorciser les tensions accumulées, nées des multiples et incessantes tracasseries engendrées par le diktat de la peste managériale, celle des financeurs et autres garants de l’argent public. Il faut savoir que des technocrates frileux, tatillons et inquisiteurs l’empêchent de travailler, alors qu’avec son équipe, il participe, à un processus civilisateur : le Lieu de vie « La Bergeronnette » est une « anti-fabrique de djihadistes », et c’est une activité de salut public, en ces années de plomb marquées d’innombrables signes ostentatoires de la désespérance. Vivant au quotidien avec des enfants et des jeunes en rupture de symbolique, les éduc - acteurs du lieu de vie, réinsufflent du désir et des possibles, notamment celui de vivre une vie qui vaudrait la peine d’être vécue, comme le disait D. Winnicot.

Eric Jacquot aime les mots, c’est indéniable, il ne s’en cache pas, et s’il fait feu de tout bois, quand il emprunte, il rend, avec intérêt.

A lire ce texte, ça me fait penser que l’écriture remplit à la fois une fonction épistémique, une fonction praxique, et une fonction cathartique. Epistémique, parce qu’écrire, ce n’est pas : « je pense, donc j’écris ce que je pense. » ; mais à contrario, ce serait plutôt : « j’écris, et cette écriture m’aide à élaborer ma pensée ». Praxique, car elle transforme – au prix du manque – le Réel en Symbolique.

Cathartique, car, à l’instar du philosophe E.M. Cioran, « je suis sûr que si je n’avais pas noirci du papier, je me serais tué depuis longtemps. Ecrire est un soulagement extraordinaire. Publier aussi (…) Car un livre est votre vie, ou une partie de votre vie, qui vous rend extérieur. On s’y déprend de tout ce qu’on aime, et surtout de ce que l’on déteste (…) L’expression est une libération. J’ai écrit pour injurier la vie et pour m’injurier. Résultat ? Je me suis mieux supporté et j’ai mieux supporté la vie ».

Dans cette société saturée d’images et d’informations en boucle, il est plus que jamais nécessaire d’écrire, car « l’écrit est comme une bouteille jetée à la mer » ; comme nous le suggère le poète Ossip Mandelstam : « la lettre enfermée dans la bouteille est adressée à celui qui la trouvera ».

Eric est pris dans l’écriture, c’est à dire le langage, et c’est ce même langage qui le sauve, l’empêche de sombrer, qui fait arrimage : primat du symbolique.

Ce dernier texte d’Éric Jacquot, qui a eu du mal à le finir – parce que c’est un livre à l’état germinal – est un acte de résistance à l’endoxalite chronique, la bureaucratie normopathe, et à ceux qui voudraient bien que les acteurs sociaux – ceux « du front » - consentent à la résignation de « l’à-quoi-bonisme ».

Qu’ils rentrent dans le rang de la collaboration au nihilisme capitaliste.

Je vous souhaite le même plaisir que j’ai eu à la lecture de ces lignes, à la plume trempée dans le vitriol. La France insoumise est bien vivante, et nombreux sont – finalement – les indiens instituants, et autres empêcheurs de consommer béatement.

(Serge DIDELET, le 19/04/2017)

 

CREATEUR DE SENS AU PAYS DE L’ADMINISTRATURE

À l’aune de 2017, date de renouvellement des autorisations de fonctionner de nombreux établissements sociaux depuis la loi 2002-2.

À l’aune de 2017, où tout doit être rangé dans des cases, où tout doit rentrer dans l’ordre serré du pas de lois qui se succèdent en évaluations coûteuses en temps et en argent. A l’ombre du clair-obscur des tableaux Excel, le grand peintre contemporain et binaire de la réalité numérique qui nie le sujet en le tuant dans le ventre mou de sa carte-mère.

Je déclare que la psychothérapie institutionnelle « cela ne PAYPAL ! ».

Le sens est inter-dit, c’est ce qui se dit entre qui compte, dans l’entre-sens de l’entre-deux, là où certains racontent ce que nous ne sommes pas et que pourtant l’on voudrait bien que l’on soit. Genre jeux inter-dit avec les paroles et une musique aux pas cadencés…

Aux yeux des services payeurs nous ne sommes que des chiffres et des comptes de résultats. Nous ne sommes réduits qu’à notre seule dimension économique, et Herbert Marcuse pourrait bien se retourner dans sa tombe si elle n’était pas unidimensionnelle !

Les ronds-de-cuir de l’administration sociale ont réussi leur coup d’état ; il est plus cynique que clinique mais leur état d’urgence nous met dans tous nos états d’aliénation et d’incompréhension.

Le fonctionnaire, cow-boy des temps modernes, fait régner la loi de l’Autre sans kalachnikov mais pas sans violence. La fermeture administrative, c’est son dada et il est à cheval sur son dada « à dada sur son bidet quand il pousse, il fait des pets ». Il aime parler de son dada quand il est à la machine à café… Et c’est nous son dada ! Il ne connait pourtant rien de nos métiers mais il est très à dada sur le pouvoir qu’on lui prête à notre sujet. Lui il sait tout quand il parle de nous et il est en plus payé pour avoir cette sensation savante. C’est écrit dans le marbre de sa fiche de poste.

C’est le con-trollers, mi-homme mi- machine qui se situe entre le contrôle et l’incontrôlable.

C’est un obsessionnel Dadaïque avec en moins le sens créatif…

Il est resté fixé au stade sadique-anal. C’est un Warrior du chiffre et de la déshumanisation.

Pour lui l’art brut, c’est un sport de combat qu’il regarde sur les chaînes de Bolloré.

A l’éclairage de ce constat, il n’y a pas une minute à attendre.

« Il nous faut à tout prix sauver le solde-@ clinique ». Le soin est à ce prix-là.

Comment créer une institution qui ne soit pas aliénante et totalisante avec de tels « maux » d’ordre ? 

« Il faut être intelligent sinon on est complice », répétait Jean Oury, l’homme pragmatique de la praxie de combat, celui qui s’est battu toute sa vie pour un idéal clinique révolutionnaire.

Ce type-là est un exemple pour nous tous. Chapeaux bas pour le permanent responsable de la clinique de La Borde, qui est décédé au printemps 2014…

La psychothérapie institutionnelle est pourtant dans une précarité qui l’a conduite petit à petit à accepter sa clandestinité et son isolement car dans le système de pensée unique actuel, d’un grand Autre administratif se cachant derrière le collectif du « ce n’est pas moi, c’est les autres ou du tous ensemble pour personne »… Il n’y a plus rien et il ne reste plus qu’un individualisme de confort qui conduit à un isolement pathogène.

Le constat ressemble de plus en plus à une dérive professionnelle médiocre dont le DSM5 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) n’est pas étranger s’il n’en est pas directement l’instigateur ; il nous faudra creuser cette question, avant qu’il ne soit trop tard.

Les procès en sorcellerie ont déjà commencé, les grands inquisiteurs sont de retour, ils passent même à la télévision.

On les appelle « les experts » et ils font des selfies. Ce sont les vedettes du spectaculaire et du marchand. On ne peut pas les contredire, l’expertise fait sa loi, c’est une science qui ne souffre ni de la critique ni de la contradiction, et sur ce point, on est assez proche du corpus identitaire de la psychiatrie actuelle. C’est peut-être pour cela que Marc Ledoux de la clinique de La Borde évoque souvent « la psychiatrie de qualité ». Il s’inscrit dans une autre façon de faire et de penser son travail sur la folie. Je connais toutefois des pédopsychiatres de l’hôpital public de grande qualité, mais c’est comme au parti communiste entre autres, pris individuellement les gens sont tous sympas mais pris dans l’appareil, ils se transforment… Ils deviennent autres, tout autre.

Le DSM5 nous commande à distance. C’est une télécommande mnésique qui nous met à distance de nous-mêmes et de nos savoirs sous anesthésie protocolaire, nosographique et étiologique tout à la fois.

La psychanalyse n’a qu’à bien se re-tenir et la psychothérapie institutionnelle doit se faire discrète.

À la Bergeronnette point de Deleuze, de Guattari, de Bonnafé pour défendre la cause alors mieux vaut la fermer et ne pas trop critiquer « mes respects à vous, Obersturm contrôleur, votre pantalon est nickel et descend bien dans vos grandes bottes cirées.

Le collectif, c’est-à-dire ce qui nous fait vivre ensemble, n’est pourtant rien d’autre que le sujet de l’individuel, disait Lacan pour parler de clinique. En ajoutant que la psychothérapie institutionnelle est le point d’insertion du sujet dans le collectif, mais de cela tout le monde s’en fout !

On veut de la pub, du beau, on veut du rêve… De belles histoires à raconter pour faire pleurer les mémères dans les chaumières !

Ce n’est pas vendeur, du Lacan, on veut du rentable, du dé-montrable, du consommable. On veut du concept soldé, du concept à deux balles acheté à la foire-fouille de la monstration… On ne fait pas le buzz en disant que l’on ne sait pas et que l’on cherche le point d’insertion du sujet dans le collectif. Ce n’est pas vendeur cette histoire, c’est trop compliqué pour les Facebook des services payeurs.

Nous avons injonction à faire simple pour ne pas perdre, soi-disant, l’argent du contribuable. « Trop expliquer, trop réfléchir pourrait finir par abrutir », disait le grand inquisiteur au sujet du savoir et il valait mieux ne pas le contredire. Un peu comme l’obersturm, le grand inquisiteur a un humour sous influence néogothique et malgré sa grande sensibilité, il reste très susceptible à toute forme de contrariétés…

« Faire prévaloir la forme sur le fond, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et à la probité intellectuelle, s’abandonner aux fausses sécurités des procédures plutôt que se risquer à la vraie réflexion… Voilà où prospère l’imposture », disait Roland Gori.

L’état de droit actuel du soin est de l’ordre de la « monstration ». Un mixte entre montrer et monstruosité, me disait Isabelle psychanalyste à son endroit, un soir où elle voulait me foutre la trouille et elle adorait ça !

Elle avait raison pourtant, il n’y a qu’à constater la qualité du débat politique, en cette période présidentielle pour se rendre compte des enjeux réels et fantasmés, d’une course à l’échalote de la monstration. Il n’y a plus rien… Il ne manque que DSK !

Soigner, c’est le moindre souci de l’administrateur, il veut juste se faire croire qu’il est l’ordonnateur de grandes œuvres au service de la cause du peuple. On est là, dans un enfumage aux particules élémentaires très fines… Où l’on pollue nos cerveaux quel que soit la couleur de la vignette ou du pair ou impair de la matrice référentielle !

Autant dire que le soin n’est réduit qu’à sa valeur marchande et le spectaculaire est là pour habiller le produit. Il faut du buzz, réfléchir devient alors une perte de temps ou simplement l’anomalie du système de la pensée hégémonique du moment, qui réifie tout mouvement contraire en le morcelant dans une série d’immobilités successives.

Le sophisme a pris le pouvoir sur l’expérience, et il ne le rendra pas.

Le prêt à jouir du tout, tout de suite, à n’importe quel prix, ne souffre surtout pas de frustration. La pulsion est au pouvoir, il nous faut toujours plus de jouir pour exister….

Bienvenue au pays de l’administrature et de sa dictature des chiffres et du résultat, car voilà où se situe la nouvelle imposture !

On l’appelle l’imposture du résultat car il faut du résultat à tout prix voire à n’importe quel prix, « qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait l’ivresse disait la jouissance ! ».

Le ministre veut pouvoir twitter son contentement en deux clics et deux claques jubilatoires sur le fesse-bouc émissaire des réseaux sociaux. On est dans la jouissance, Madame, Monsieur, et chez ces gens-là on ne pense pas, on compte les « like » en matant sa cravate dans le miroir de son téléphone portable qui ferait sans doute mieux de réfléchir à deux fois avant de renvoyer les images.

Un acte doit donner un résultat, le temps est compté et le temps c’est du fric, le fric des autres nous fait-on rapidement savoir.

Comme si les autres, ce n’étaient pas nous !

Et si l’enfer c’était vraiment les autres ? On serait donc parfait, cela ne tient vraiment pas à grand-chose des fois !

Savoir ne pas savoir, ce n’est ni vendeur ni un bon placement dans un projet d’établissement. C’est un placement nocif, une sorte de subprime dans la bulle du pape de l’autel du libéralisme ambiant. L’ordre ambiant sait ce qui lui est nocif, surtout quand il crée lui-même les produits nocifs qui lui servent à sa propre survie, dirait de façon plus convaincante Thomas Piketty.

Dans le système actuel de penser le travail social, on a décidé qu’en maison de retraite, c’était sept minutes pour une toilette, pas plus pas moins, et la statistique ne dépend que de peu d’endroits où l’on pratique autrement, genre douze minutes et cela fait donc gonfler la moyenne nationale.

Si c’est plus de sept minutes, les collègues ronchonnent pour la consigne non appliquée et cela remonte à la direction qui fulmine, il va falloir sévir… Et prendre des décisions contraignantes qui ne lui plaisent guère, dit-elle. La vie de l’institution dépend de ses « bonnes pratiques », et en tant que manager, le directeur doit prendre les décisions qui s’imposent, a dit le Saint Conseil d’Administration dans l’immense sagesse de sa grande génuflexion au service d’un asservissement volontaire qui dit Amen les sous dans la gamelle.

Le système doit s’imposer à tous sans discussion. C’est comme cela et c’est une chose que les petites mains du social ne peuvent pas comprendre… Comprenez les travailleurs sociaux, les terre-acier qui cimentent la relation éducative de proximité, bien évidemment. Ceux qui bossent pour créer les fondations d’un travail de construction du sujet. Il faut être passé par la finance pour savoir ce qui est bon pour le collectif et donc pour l’individuel, il n’y a pas de doute à ce sujet, nous disent les experts…

Le travailleur social ne peut pas comprendre, les enjeux fondamentaux de la bien gérance. Le travailleur social est trop pris dans des affects archaïques et gauchisants, il est loin de « la réalité du monde réel qui l’entoure » me disaient Hanouna et Nabila l’autre jour sur W8… Tout le monde le sait, l’éduc fume des pétards et boit du café toute la journée enfermé dans son bureau en cherchant la meilleure solution pour ne rien faire.

Le terrain de la prise en soin selon cette façon de penser, cela coûte trop cher pour pas grand-chose ou pour un effet trop peu visible. Cela peut se comprendre mais bon, les technocrates devraient affiner le logiciel en prêt à penser qu’on leur a fourni et regarder à peine plus loin, là où le sujet de l’individuel commence à leur échapper. C’est là, dans cette zone non chiffrable que se situe la réalité du sujet et donc de ce qu’ils sont censés financer en fin de compte.

Ils n’ont aucune formation à ce sujet, le sujet n’est pas un sujet pour eux. Il est hors sujet de toutes leurs réunions et je ne peux pas vraiment  leur en vouloir à ce sujet !

La prise en compte éducative, la clinique du sujet et du quotidien vivent maintenant sous le joug d’entreprises managériales ne se cachant même plus derrière leur petit doigt quand elles montrent la lune. Une façade numérique de Potemkine, un tribun orateur suffit à faire une réputation. Il ne reste plus rien… Le sophisme règne en maitre, il se jouit dessus littéralement.

Nous sommes au temps de la toute-puissance de l’économique, de la finance et du par-être…

Et chez ces gens-là, Madame, Monsieur, on ne soigne pas, on rêve de drones éducatifs, de robots laveurs de cerveaux, de GPS du moi, de pointeuses horaires relationnelles et de caméras de surveillance de l’inconscient. Et puis d’un ou deux CRS en forme de surmoi pour faire police d’assurance. On est dans l’état d’urgence absolu. C’est la guerre du moi, Madame, Monsieur et il y en a encore pour de l’émoi !

On ne rêve plus, on est dans une irruption du réel qui nous rend @-réel, il n’y a plus rien… On a plus besoin de nos analyses, il suffit d’algorithmes éducatifs pour tout comprendre et résoudre l’impossible…

C’est pourtant dans une réflexion partagée que commence la psychothérapie institutionnelle. C’est le partage d’une intelligence collective mise au travail de l’analyse où tout le monde, même les petites mains du social, peut être engagé dans cette élaboration clinique.

Mais la clinique et donc la psychothérapie institutionnelle cela ne PAYPAL, on le sait déjà depuis longtemps, la clinique cela coûte sans être spectaculaire. L’intersubjectif n’a jamais l’allure de l’ombre d’une preuve, même avec un bon avocat et dix faux témoins ! Le boulot entre deux êtres n’est pas mesurable, il faut qu’on se le dise une fois pour toute. Le transfert est de l’ordre de l’aléatoire et ne contribue en rien à ce qui crée vos Dalaïques démocraties du risque zéro. C’est zéro votre interprétation du risque zéro. Une rencontre éducative n’est en rien décrétable, on parle ici de l’humain, d’une humanité que les mots, les lois ne peuvent en rien imaginer. Rien n’est prévisible dans ce qui vient faire rencontre et cessez donc de vouloir tout régenter. Le sujet de l’individuel est incodifiable, il faut vous le mettre dans la margoulette une bonne fois pour toute, l’être humain est incodifiable. N’en déplaise à Google et compagnie.

STOP, j’arrête les conneries.

Il est enfin temps que le travail clinique nous fasse rentrer en résistance à l’hégémonie des politiques sociales qui font déchanter les plus positifs d’entre nous en faisant passer le collectif pour autre chose que le point d’insertion de l’individu dans la société dans laquelle il évolue.

La politique du chiffre est indéchiffrable, et elle sent trop fort l’inhumanité d’un monde à deux vitesses sans insertion possible. Un monde qui est loin de se la jouer collectif.

« Techniciens de surfaces sociales de tous bords, de tous pays, unissez-vous », disait en braillant Oncle Bernard en sortant de sa visite hebdomadaire chez ses potes de Charlie, mais bon, il était un peu bourré ce soir-là et je ne sais pas si cela peut compter quant à mes citations. En même temps, tout le monde n’est pas Charlie ou ne cautionne pas la déchéance de nationalité ! Moi, j’étais fan de Bernard Maris dit oncle Bernard, économiste libéré, mort sous les balles d’ignobles cons dans les locaux de Charlie.

Il nous faut rentrer en résistance sous peine d’être réduit au monde du silence des parle-être bannis du filet langagier d’une société aux allures elles-mêmes de plus en plus sourde à la plainte d’un monde qui lui échappe.

Nous ne pouvons pas laisser des gens qui n’y connaissent rien de l’enfance et des familles, décider pour nous, sinon, au bout du compte, on sera complice dans une sorte de servitude volontaire et l’on ne pourra même pas dire que l’on ne savait pas sous peine d’être réduits à des collabos ignorants de seconde zone.

Des sortes de sujets sachant ne pas savoir et sachant bien qu’il ne faut point trop en savoir pour ne rien pouvoir en dire, dans une sorte de lâchitude intellectuelle, ceci pour faire référence dans un ségolénisme très à la mode de mes nouvelles charentaises.

La dérive normative avec ses protocoles et ses certifications ne nous laisse plus de répit. Derrière le masque (persona en latin), de protéger l’usager et de guider les professionnels dans leurs actes, on écrase la liberté, la création et la pensée tout à la fois.

Dans ce système, le sujet devient hors sujet et la pensée obsolète. Le sujet que l’on transforme en usager, on le pare d’un costume, que dis-je d’un uniforme que l’on appelle la légitimité où la bienveillance, c’est selon l’humeur de la réunion où des gens qui savent se retrouvent à la grand’messe d’un libéralisme ignorant et galopant.

La peste managériale inocule son virus, elle broie du noir comme au meilleur temps de l’esclavage.

Les réactionnaires font leurs lits dans ceux de conservateurs aux allures pétainistes mais redéguisés en anges vertueux d’un temps douteux vantant nostalgiquement, les grandes valeurs « travail, enfance, famille, patrie. Ils rêvent d’une école idéale en blouses où l’on chante la marseillaise en montant les couleurs de la France.

Vous avez compris le niveau de réflexion et d’élaboration intellectuelle de ces gens-là ?

Chez ces gens-là, on ne pense pas… On applique une doctrine ! Et on va à la messe pour se faire pardonner ses costumes et ses pêchés fictifs.

Et alors ? C’est quoi le problème ?

Moi je ne suis pas convaincu qu’en rhabillant un délinquant sans sa casquette Nike et son survêtement qu’on puisse le mettre au garde-à-vous et qu’on puisse en faire un bon élève qui respecte les valeurs républicaines. Tout au plus, pourra-t-on peut-être le contraindre à une obéissance de façade mais à quel prix ?

Celle de bombes humaines en maturation ?

Et en même temps au travail sur le terrain, on nous laisse seul aux mains de laboratoires pharmaceutiques qui, avec leurs experts et leurs agences, gouvernent notre façon de prendre en soin. Il existe une molécule pour tout aujourd’hui donc nous n’avons plus besoin de réfléchir.

On nous demande d’être des exécutants serviles des doctrines marchandes de multinationales hors de tous contrôles sauf des tweet de Donald Trump. C’est vous dire la qualité du contre-pouvoir !

Allez lire le DSM5 et vous comprendrez que l’on peut vous soigner de tout et de n’importe quoi ! Vous n’avez pas envie d’aller bosser les lundis matins, il existe la molécule stupéfiante pour y remédier. Vous souhaitez détruire la Corée du Nord quand vous vous réveillez, prenez un nem à base de tétrahydrocannabinol deux en un.

Prenons garde, il est temps, il nous faut impérativement agir.

« Il faut réfléchir à la menace que fait peser notre société de la norme sur notre capacité à créer, à rêver et à imaginer une manière de vie authentique… ». S’inquiète tout énervé et à juste titre Roland Gori dans son livre La fabrique des imposteurs. Il nous faut aussi relire Aldous Huxley et Georges Orwell car déjà à leur époque, en 1939, ils faisaient la description critique de la société que nous avons construite en 2017.

Nous sommes les prisonniers de la finance, coincés dans un étau entre le libéralisme économique triomphant et nos propres implosions bureaucratiques. Nos implosions sont déjà programmées à l’obsolescence du goût des lois et des décrets qui se surajoutent à un mille-feuilles administratif qui nous pollue de paperasseries illisibles qui n’ont de sens que pour ceux qui en vivent.

Ils ne comprennent pas tout, eux non plus, nos collègues fonctionnaires qui vivent ces situations. Ils sont dépassés la plupart du temps par des fonctionnements loin d’être clairs dans leur formulation. Ils rament pour obtenir la bonne info du bon service, et ils finissent par prendre de la distance pour ne pas faire partie de l’orchestre du Titanic, d’un remaniement politique qui changera encore à nouveau leur protocole de travail...

Chez ces gens-là, on ne travaille pas.

On préfère attendre le contrordre qui va venir et la prochaine élection ! Et je fais confiance à leur grande expérience d’une certaine forme de désorganisation chronique pour savoir ce qui est le mieux pour eux. Bravo à eux, moi je ferais sans doute pareil en de telles sinistres circonstances. Je serais un bon collaborateur !

L’acte éducatif ne se réduit maintenant qu’à sa seule capacité à remplir des ramettes de papier de conneries hors de sens.

Kafka s’il te plaît, fait bouger ce corps social et administratif mortifère qui gangrène toute imagination créative et pourrit la vie de tous les travailleurs sociaux !

Notre dépendance financière est devenue telle que pour traiter les sujets que la société nous confie au plus bas prix possible, on nous impose d’obéir au risque zéro.

Pourtant, 1 %, et c’est plus que zéro, de la population mondiale possède 99 % de la richesse mondiale, et cela ne me semble pas être sans rapport ni sans risque avec le problème qui nous lie : soigner les pauvres de leurs symptômes et de cela personne ne s’en inquiète. Comme personne ne se pose la question du traitement de la misère et des moyens qu’on met à son accompagnement. Cette question n’est pas régalienne et elle ne régale personne à la lanterne ou l’Elysée.

Il est où le risque zéro dans cette équation ? On sait prendre le risque du risque zéro mais pas pour tout et surtout pas à n’importe quel prix.

Au final, on embauche des pauvres pour s’occuper de pauvres avec des moyens et des méthodes mise en place par des gens qui ne connaissent rien à nos métiers de l’impossible et qui plus est, sont eux aussi des travailleurs pauvres. On peut se poser de légitimes questions sur notre condition d’être humain à être humain.

On peut aussi se dire. Qu’est-ce qu’on fout là ? Pourquoi on en vient à se foutre dans une telle merde ? Est-il normal, ce système de penser notre monde ?

« Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes », disait Candide. « Quand les gens sont de mon avis, j’ai l’impression de m’être trompé », lui aurait dit Oscar Wilde mais ça je n’en suis pas sûr car je n’étais pas là, je regardais un match de rugby à la télévision !

Faire une citation, cela peut quelquefois être douteux et très coûteux, il vaut mieux être précautionneux car je n’ai en général pas les moyens de ce que j’écris. J’adore pourtant cela ! C’est le prix de la liberté, il y a un prix à tout.

Pour parler clinique, en toute précaution, il faut aborder la société dans son ensemble et non pas seulement que par la lorgnette de nos vécus personnels ou professionnels, et cela de toutes les places qui nous sont données d’avoir.

Il nous faut penser collectivement au collectif et donc par conséquent à nous tous individuellement ! Le collectif c’est le sujet de l’individuel.

Le soin ne se réduit pas à des diktats politico-démagogiques entre coaching et réalité ou entre principe de réalités et de précautions, n’en déplaise aux grands ordonnateurs des politiques qui nous asservissent.

Il y a pourtant en cette époque de quoi se poser d’autres questions sur le traitement et la place que l’on laisse pour soigner l’institution ou la société dans son ensemble. On sait qu’il est hors de question de considérer que l’institution soit malade. Alors même pas la peine de parler de la société en général... Ce n’est pas de notre domaine de compétence, il y a suffisamment d’ex-pères.

Cette approche n’est pas rentable ni justifiable, et qui plus est, contreproductif pour son image. Donc on ne soigne pas l’institution sociale et l’on continue d’accueillir en son sein en faisant comme si cela était efficace au prix d’évaluations où le sophisme prime sur la rigueur. Il faut montrer que l’on sait même quand on ne sait pas, le reste ce n’est que du pipeau.

Du moment où l’on écrit sur des ramettes de papier, c’est du sérieux. Ce qui est écrit à l’intérieur n’a aucune importance, c’est le poids du dossier qui fait la qualité.

Du coup, savoir et ne pas savoir, d’un point de vue clinique ou administratif, viennent à se confondre. On frôle l’incestuel de confort dans une dichotomie douteuse entre deux entités qui ne pourront jamais faire bon ménage. On ne peut accepter cela car Il y a danger.

La clinique est en danger.

Tout est gabegie, rien n’est sous contrôle, le commanditaire d’un rapport long et coûteux en temps ne va surtout pas faire l’effort de lire ce qu’il a ordonné d’écrire. Il est débordé entre ses heures de récup, son mi-temps thérapeutique, ses réunions, sa formation en cours et dont il ne sait plus l’intitulé, ses RTT, les texto de son Ex et ses arrêts maladie pour burn-out.

Lire un texte serait trop dispendieux pour son temps qui est des plus précieux, lui a-t-on dit. Et puis par la suite, il lui faudrait éventuellement se remettre un tant soit peu en cause, répondre et se mettre au boulot ou s’en remettre à sa propre autocensure à géométrie variable qu’il aime administrer comme une grâce présidentielle pour les membres de son réseau et pour ceux qui n’en seront jamais. Mais bon ça c’est du boulot et même si c’est satisfaisant au niveau narcissique, il n’a pas envie de se prendre la tête avec un langage où au final, il ne comprend pas grand-chose. Son truc, c’est la finance et les tableaux Excel.

Se remettre en cause n’est pas de son domaine de compétences dit sa fiche de poste dument paraphée et contresignée par l’autorité tutélaire sous contrôle d’un grand Autre anonyme au pays d’un collectif qui ne prononce même pas son nom celui de l’abandoncrature d’un idéal à l’énergie renouvelable.

Hannah Arendt a bien expliqué ce sentiment entre puissance et impuissance de celui qui est aux ordres d’un grand Autre totalitaire.

« J’obéis aux ordres des élus ! » C’est l’excuse de confort du bon samaritain fonctionnaire, me disait l’autre jour la petite fille du maréchal Pétain en étendant son linge. Ça laisse rêveur… Je ne savais pas que c’était ma voisine ! Entre elle et Marion Maréchal Le Pen, je m’y perds maintenant, elles se ressemblent tellement ! Elles sont belles et troublantes, elles se situent entre Belzebuth et Bambi. Bon, ce n’est pas un compliment pour Bambi, je vous l’accorde. Excuse-moi Bambi, ce n’est pas moi Omar qui t’as tuer !

Revenons à l’essentiel, il est temps ! Gaspillage intellectuel du temps et de l’argent du contribuable et tout le monde s’en fout.

« Il n’y a plus rien. » Le peuple paiera puisque les bénéfices sont privatisés et les déficits nationalisés, et que tout le monde s’en fout du moment où chacun mange du saumon fumé, élevé aux farines animales au même prix qu’une vulgaire tranche de jambon polluée de pesticides.

Nous marchons sur la tête de gondole de nos illusions perdues. C’est la grande illusion. « Laisse les mongols à Denise, elle est AMP (aide médico psychologique), elle saura bien quoi en faire. »

Réveillons-nous « moutons de Panurge ».

« Il s’agit de produire de l’humain… Et c’est autrement plus difficile que d’organiser une expédition au pôle nord en chiens de traîneaux », nous disait déjà Deligny en son temps.

Entre parenthèses, à Monoblet, dans son lieu de vie, il avait résolu le problème ! Il a longtemps fonctionné sans demander de l’argent à qui que ce soit et l’administration l’a ensuite rattrapé sous prétexte de règlementations en lui proposant un prix de journée car cela était normal de rémunérer « l’extraordinaire » qualité de son travail.

Par la suite, un fonctionnaire zélé, droit dans ses bottes de marque allemande « Das model » est venu lui demander des comptes sur ses méthodes de management en lui notifiant « votre note de gaz est trop élevée, l’obersturm administratif comptable va être très mécontent et ce n’est pas un point de détail ! Avec du zyklon B, vous pourriez faire des économies substantielles répondit un écho lugubre venu du camp de Birkenau… ».

OK, j’atteins là le point dit de Godwin et je me risque à être déplaisant et c’est plutôt irréfléchi et cela pourrait disqualifier l’ensemble de mon texte. Je ne vais pas en prendre le risque, je retire immédiatement cette histoire de zyklon B et je salue au passage, ce qui n’a presque rien à voir, le talent immense de Primo Levi qui a su avec tellement de pertinence et d’humanité, nous décrire l’univers d’un quotidien concentrationnaire dans Si c’est un homme. C’est un livre que devraient lire tous les éducateurs et les fonctionnaires avant d’obéir à des ordres sans y réfléchir.

Bon j’arrête le délire, j’avais envie de me lâcher, c’est le minimum quand on assume un texte et pas une citation mais il faudra quand même demander à Jacques Lin comment cela s’est réellement passée cette partie de l’histoire.

Le risque zéro, c’est zéro, zéro ennui, zéro tracas, disait la pub pour une société d’assurance mais c’est aussi zéro existence, zéro singularité, zéro recherche de sens disait la tête à Toto.

Il nous faut une analyse institutionnelle permanente afin de tenir compte de la dimension politique de la clinique ; condition indispensable à la création d’espaces du dire rappelle Philippe Bichon, de La Borde. Nous ne pouvons continuer d’accepter cette bureaucratie triomphante qui veut tout homogénéiser en niant la place du désir dans la fondation de l’être humain. Dans notre travail, il n’est plus que questions de marchandages et de survie, ce qui nous éloigne de plus en plus de nos missions d’accueil de l’autre dans sa singularité.

On ne soigne pas un schizophrène comme un délinquant ou un tout-petit qui souffre de carences éducatives. Ce n’est pas en faisant des grilles que l’on coche quand ils ont fait ceci ou cela que l’on va être soignant. Tout au plus, on alimentera des statistiques et celui ou celle qui en fera son gagne-pain.

On nous empêche de faire notre boulot et je ne comprends pas pourquoi…

Je vais m’en griller une, Annick, je sens bien que je m’énerve… Et que j’écris presque à pertes et profits de mon propre compte narcissique ! « Je m’en va sucer le sein de ma mère ».

Alors qu’est-ce que je fous-là ? Qu’en est-il de mon désir d’être là ?

Vivre avec des jeunes enfants et adolescents aux parcours chaotiques sur lesquels ils n’ont pas de prise, c’est une aventure qui n’est pas sans risque. Cela ne va pas de soi, de penser pouvoir avoir une prise sur ceux qui n’ont pas de prise… C’est prétentieux et cela vient interroger, là où l’on en est.

On n’arrive pas là par hasard, on est déjà forcément dans une certaine emprise de la surprise, de la rencontre qui va venir ou pas. On veut savoir qui est cet autre. Cet autre qui parfois nous ressemble tellement trop.

Le collectif, le hasard, l’humour, l’ambiance, le sérieux sans se prendre au sérieux, la logique poétique de l’accueil sont dans ma boîte à outils. Je ne vais pas vous raconter les détails de ma boîte à outils, mais je vais vous en faire maintenant un petit inventaire sélectif qui devrait suffire à votre curiosité.

C’est plutôt un fatras très organisé avec plein de matos qui provient de partout, de toutes mes expériences, elles sont nombreuses et je crois que je peux me servir de l’une ou de l’autre à n’importe quel moment.

Pour utiliser cet aspect symbolique de ma pratique, je dois tenter de suspendre mes préjugés, me surprendre, savoir ne pas savoir ou sinon ne pas trop savoir, tenir compte des insignifiances constitutives de l’existence des sujets, me faire l’observateur du petit rien qui pourrait faire signe.

C’est tout une constellation évolutive dont j’ai l’impression de m’éloigner à chaque fois que je crois m’en approcher.

Je suis le propre trou noir inversé de mon narcissisme déficitaire. J’adore m’expulser de moi-même dans l’univers intergalactique et sidéral de l’intersubjectivité.

Je ne peux pas m’empêcher par exemple de laisser des espaces de fuites à ceux qui pourraient trop me toucher, trop me donner ou vouloir m’ignorer. Je me bricole, je m’adapte, je compose donc je suis.

Je patine, je patauge, je rate, je rate encore, je rate mieux et je nage à contre-courant… Je pêche la truite qui vagabonde à la main et cela n’a rien à voir avec la pêche intensive, mais l’une est autorisée et l’autre non. « Va comprendre, Charles… ».

Bien plus tard ou bien plus tôt, je ne sais plus car quand on fait parfois dans l’uchronie, ce n’est pas forcément facile de se repérer dans le temps, Tosquelles se moquait encore : « La science est un trouble du comportement de certains types qui ont une obsession de vouloir tout contrôler. » Je suis d’accord, l’imprévu, l’inattendu n’est pas susceptible d’être mis en science. « Il faut toujours se garder une petite gêne », me disait un jour un cousin québécois frappé d’une lucidité rassurante.

Moi je préfère ne pas savoir car c’est dans cette zone qui m’échappe que je m’autorise à déconner dans ce que François Tosquelles, psychiatre de son état appelait une certaine déconniatrie. C’est un vrai espace de rencontre informelle où des petits riens peuvent venir se cristalliser et faire sens.

Sauf si le grand inquisiteur vient à y mettre son nez et y déposer ses propres tourments excrémentiels sur une grille déjective créée de toutes pièces pour sa propre jouissance du tout à l’ego.

Dans cette rencontre, j’associe alors avec mes propres déconnages, mes souvenirs personnels, mon histoire, mes élaborations quelconques avec ceux du sujet que je rencontre. On partage nos expériences, je baragouine, je radote, j’écoute les silences, je joue avec les mots, je les pulvérise sans produit chimique. Je postillonne à hauteur d’un ravioli par minute, je m’autorise à être moi-même avec tous les défauts qui vont avec et c’est tant mieux, sauf pour celui qui prend le projectile acide en pleine face. Je m’éloigne inlassablement de la toute-puissance de celui qui croit qu’il sait. Savoir que l’on ne sait pas, c’est déjà comprendre répète inlassablement Joseph Rouzel, un ami de transfert.

Je me mets en position de celui qui cherche et qui attend que le sujet vienne à son aide.

Cette position n’est jamais commode même si il sait déjà que je vais avoir besoin de lui.

Cet inversement des rôles lui redonne de la confiance en sa faculté d’être en vie et d’être important pour quelqu’un. Mais c’est aussi très angoissant de croire qu’on puisse avoir une telle puissance. Il va donc nous falloir gérer ce qui est de l’ordre de nos désirs respectifs.

Je suis, donc l’autre existe… L’autre existe, donc je suis. Les parle-êtres peuvent alors se rencontrer dans l’exil de la langue.

Je tente de lâcher mes dernières résistances, de ne pas trop maîtriser. Je deviens le vagabond de moi-même qui se construit et se déconstruit au contact de l’autre.

J’apprends de lui et il apprend de moi.

Je ne sais rien de lui, il ne sait rien de moi… Et ce sont nos mots qui vont nous mettre en image et nous donner vie en accouchant de nous. Il faudrait relire Beckett qui savait le poids des mots mieux que Paris-Match, mais bon chez mon adorable coiffeuse ce soir, c’est plutôt le choc des photos.

Je procrastine pour défier le temps institutionnel et le mien ; « Je ne m’enfuis pas je vole » comme la famille Bélier.

Qui est-il cet étrange étranger qui s’échappe plus je l’approche ? Être au plus proche, ce n’est pas toucher, la plus grande proximité, c’est d’assumer le lointain de l’autre, disait en sub-sens Mister Oury. Tosquelles rajoutait que la meilleure façon d’habiter avec eux, c’était de s’en séparer ! Tout le contraire du vivre-avec que nous prônons comme un étendard dans les LVA.

J’ai pu vérifier cette dernière hypothèse à plusieurs reprises car quand ils partent, ils ne sont jamais très loin, ils sont dans les murs, ils les habitent. Ils ne sont jamais aussi présents et jamais aussi preneurs des conseils qu’ils n’auraient jamais acceptés d’avoir auparavant. Une présence-absence qui vient enfin causer dans le poste de chacun. Qu’est-ce que je suis pour toi, est-ce que je compte vraiment pour toi ? Dans cette séparation, enfin on habite ensemble et l’on se cause.

Et là, il n’y a plus de prix de journée qui comptent et on revient enfin à l’essence même des lieux de vie, ceux de Deligny et cela pourrait faire l’objet d’une discussion plus approfondie à ce sujet.

Pour en revenir à ce qui donne sens dans la prise de « connaît-sens » dans la relation que je tente de construire, il me faut alors ralentir le temps institutionnel au point qu’il puisse fusionner avec une errance qui permette la rencontre. La rencontre n’est jamais frontale, l’errance ne s’y prête pas et ces petits gars tous abîmés au plus profond d’eux-mêmes ne supportent parfois pas la brutalité d’un moindre questionnement, voire même le regard trop poussé, d’une rencontre visuelle fortuite. « Qu’est-ce que t’as, toi ? ».

Un clignement d’œil peut-être le début du début d’un semblant de relation ou d’une fin de non-recevoir. Il n’y a que des règles tacites et elles ne sont en rien formalisables, la singularité d’un moment partagé ne se programme pas sur l’autel de la bienpensance administrative.

L’institution dans laquelle on évolue a alors une grande importance, c’est elle qui doit favoriser des possibilités d’espaces de fuites vers un ailleurs possible. Elle doit être sécure et pour l’être, il faut que le personnel s’y sente bien. Il faut que chacun puisse trouver la place à sa singularité dans un collectif. L’institution se doit d’être dans un équilibre, juste limite. Il ne peut en être autrement au risque d’être totalisant ou totalitaire.

Les idées, les troubles de l’humeur, les symptômes doivent même si c‘est compliqué pouvoir circuler dans des espaces dérivatifs transitionnels et ce n’est pas évident à mettre en place, ni à supporter pour le personnel éducatif et soignant.

C’est un travail d’équipe. Un travail qui coute à l’esprit d’équipe et faire équipe cela ne va pas de soi. Le collectif a un prix discutable qui doit être mis en discussion en permanence.

La pulsion ne s’enferme pas, on peut juste éventuellement l’accompagner ou la dévier, la dériver vers d’autres chemins socialement plus acceptables. Le symptôme est un langage et doit être entendu comme cela. Faire taire le symptôme par la pharmacopée ou par toute autre méthode ne viendra que masquer ce qui devra être satisfait un jour ou l’autre (la jouissance) dans un passage à l’acte qui pourrait finir par être insatisfaisant pour l’ensemble de la société.

C’est pour cela que notre travail passe par le langage. Il nous faut parler. Parler pour ne rien dire, parler de rien, parler de tout, parler pour faire sujet, parler à s’empêtrer, parler autre, trop parler, s’empêcher de parler, parlementer, parler à l’oreille des chevaux pour faire triangulation ou un semblant thérapeutique, parler sous contrainte, parler par procuration, parler la langue de bois, parler politique, parler avec suffisance, parler pour tricher, parler d’amour pour faire moins triste, parler à demi-mots, parler à Demi Moore, parler à tort, parler fort, parler vrai sans en être sûr, parler juste sans savoir pourquoi, parler pour parler, parler dans le vide, parler pour faire bien et occuper le temps de parole, parler comme pour faire une tentative vers un ailleurs possible.

Waouh parler, c’est quelque chose et il faudra bien qu’on en parle, un de ces quatre !

Rien n’est moins sûr, parler cela ne PayPal au pays de la démocrature « la dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie, c’est cause toujours… ».

Pour certains ados, la parole est dangereuse, et ils en ont déjà fait parfois les frais par le passé. « Il ne faut pas pousser mémé deux fois dans les orties. » Alors ils parlent de façon symptomatique et c’est à nous de trouver notre machine « Enigma, intersubjective » qui nous permettra de savoir ce qu’ils cherchent à nous dire ! Il faut qu’il y ait transfert de données… Et ce n’est pas Allan Turing qui m’aurait contredit. Enfin si mais juste pour faire chier ! C’était un grand génie mais pas de la relation. L’autre ne l’intéressait pas ou lui faisait peur.

Nos jeunes en majorité savent déjà ce que les mots, on fait d’eux. Pour eux nul besoin de Beckett pour comprendre. Pas besoin de traducteur, ils savent la dangerosité d’un verbe, ils sont polyglottes, ils parlent déjà l’argot, le verlan, le slam, le manouche, le rebeu, le rap, le Facebook et tous les réseaux sociaux. Ils surfent sur la vague numérique comme des Brice de Nice très monstratifs. Ils sont sur les réseaux des cas sociaux ; pour preuve : ils tweetent avec Trump.  

Ils s’inventent une vie virtuelle, de nouvelles galaxies de l’amour instantané pour fuir la réalité de vies sans issue sinon celles d’affronter un réel agressif où ils ont très peu de chances de pouvoir s’arrimer. Ils sont coincés entre une ubérisation de leur moi et le produit éventuel de consommation qu’ils représentent, autant dire la même chose.

Il faut donc souvent partir de biais. Quand j’épluche les pommes de terre avec un môme, il ne me vient pas à l’idée de savoir si c’est vrai qu’il a grandi dans un placard, même si c’est écrit en rouge dans son dossier de l’aide sociale !

L’essentiel c’est l’ambiance, et ce genre de questionnement ne vient pas faire ambiance.

Il faut donner de soi, être pro sans l’être vraiment. Il faut avoir l’impression de ne pas travailler tout en sachant que l’on travaille. Il faut se laisser porter par l’ambivalence du paradoxe. Il faut relire Winnicott qui a très bien expliqué ce concept de paradoxe «de parent – non-parent, de famille - non-famille (…) Il faut faire comme si, tout en sachant que l’on n’est pas (…) sans jamais aplatir ou résoudre le paradoxe. C’est dans cet espace sur-prise et de sein-bolisation que s’ouvrent des espaces transitionnels (…) et qu’un ailleurs devient envisageable (…) ».

L’ambiance que l’on met dans l’endroit où l’on vit, c’est la matière brute de la relation. C’est le terreau de la germination de la clinique éducative garantie en permaculture, sans OGM, sans Roundup, sans huile de palme et sans DSM5.

Le vivre-avec c’est bien plus qu’un concept car on peut vivre à côté de quelqu’un sans jamais le rencontrer.

C’est pour cela que certains - même s’ils sont en voie d’extinction - de mes camarades des lieux de vie devraient parfois penser à conceptualiser leur pratique au lieu de se cacher derrière ce mot fourre-tout et bien confortable du vivre-avec comme une marque de fabrique qui ne souffre pas de critiques « je vis avec, donc je sais mieux que tous les autres ce qui est bon pour l’autre».

À la Bergeronnette, c’est le contraire. On ne sait pas grand-chose de l’autre, on découvre, on apprend, on est en apprend-tissage et l’on est dans le doute en permanence. Ce n’est pas un doute anxiogène ou idiocratique hérité d’un syncrétisme éducatif de formatage mais un doute qui se veut constructif, élaboratif et évolutif.

C’est un doute qui n’empêche pas de faire mais qui empêche de faire trop de conneries. « On rate, on rate encore et on rate mieux… » me disait Samuel B.

Le savoir doit s’incarner dans l’équipe, me suggérait un jour avec raison Marc Ledoux.

Alors on essaie, on tente, on cherche. On est dans l’agir pour le sujet et nous-mêmes. On invente ensemble au jour le jour, notre projet de vivre-ensemble qui réécrit sans cesse notre projet d’établissement. Rien n’est figé, rien n’est fixé, rien n’est fini, et c’est cela qui fait vivre notre institution et qui en fait une institution vivante et pour le coup, un vrai lieu de vie.

On est loin de la toute-puissance. Nos armoiries sont discrètes et se tissent parfois simplement dans l’intimité d’un sourire partagé, d’un regard qui compte ou qui est inattendu, d’un petit rien qui geste un silence et viendrait révéler ou pas, l’inaudible de ce qui est indicible. Un rien, c’est parfois beaucoup quand on pense à l’autisme. A partir d’un petit rien, on rentre dans la nano subjectivité, la nano sphère. On frôle le néant ou le trou béant du non-dit absolu. Il faut être prudent, on marche en terres inconnues, là où le verbe ne fait pas forcement sa loi, là où l’absence de mots vient faire écriture et tout cela en écriture minuscule que l’on va tenter de trans-former en écriture majuscule mais pas pour faire du plein. Juste pour voir et se rater mieux !

On est dans un vide qu’on pourrait être tenté à tort de vouloir combler. On adore combler du vide par du plein, du plein de vide au final mais cela nous rassure. On est content et l’administrature aussi ! Quand on fait des tas de choses qui ne servent à rien mais qui viennent à être médiatisées, on trouve toujours un bon avocat journalistique pour dire qu’on est des supers héros !

Une odeur d’oignons déglacés au vinaigre de Xérès me ramène à la réalité, à ma réalité.

Est-ce une tentative olfactive désespérée pour combler un vide par une madeleine de Proust clinique ?

A quelle heure s’arrête le train ?

Un train passe à onze heure sans s’arrêter, une mouche agace, le téléphone sonne, le coq chante, une stagiaire trébuche, une voisine radote, le chat et son caractère imprévisible, les chambres sont sales et dévastées par une journée de placement de plus, un jour qui passe sans s’arrêter pour dire bonjour, le maire qui téléphone pour me demander si je sais où se trouve sa charrette de fumier, pourquoi le saurais-je ? Le facteur tout sourire amène une lettre recommandée, le journal annonce qu’un nonagénaire écossais a pris l’autoroute dans son fauteuil roulant, le soleil se couche devant la lune, Sergio qui regarde poubelle la vie ; le quotidien fournit un large éventail d’occasions à saisir pour se rencontrer et faire la tentative de se comprendre.

Il faut utiliser le décor et l’ambiance est l’un des facteurs primordiaux de ce qui peut ou pas se construire. 

Tout doit être prétexte ! Tout est prétexte à rentrer en relation sans trompette ni fanfare, la clinique ne vient pas se coucher dans les lits qu’on a faits pour elle. Elle se sauve dès qu’on prononce son nom : ce qu’elle aime, c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand elle oublie comment elle s’appelle, pour paraphraser Jean Dubuffet au sujet de l’art brut.

Ici on essaie, on bricole, on cherche, on se cherche. C’est l’imagination qui a pris le pouvoir et on le lui laisse. On re-invente notre travail chaque jour, c’est une rencontre du troisième type permanente dans la triangulation intergalactique d’un grand autre très absent.

C’est l’Art brut qui s’invite dans la clinique ou la clinique qui devient Art brut…

Les deux sensations me plaisent, je ne peux pas choisir, je ne sais pas et puis il est trop tard, je vais me coucher.

L’écume des jours et ses jours obliques abondent en parfums délirants qui se délient lentement dans la moiteur du crépuscule.

 Je m’endors en écoutant Boris Vian.

Toc toc, on frappe à ma porte.

Il est minuit. C’est Nounours qui n’arrive pas à dormir et qui prétexte pour venir me voir, que je l’aide à choisir entre deux pantalons, afin d’aller au collège le lendemain.

D’habitude ses choix vestimentaires sont le cadet de ses soucis. Je le sais et il sait que je le sais. Il s’habille généralement au dernier moment sans choisir, il se revendique pourtant d’un mouvement punk ou gothique sans bien savoir ce qui d’un point de vue vestimentaire est de l’ordre d’un mouvement esthétique novateur ! Sale, il aime bien…. Il aime faire peur.

En règle particulière, il s’habille tout le contraire de ce que j’aime.  

J’entrouvre la porte, un peu plus.

D’abord il en profite pour m’embrasser en me disant qu’il ne m’avait pas dit bonsoir avant de se coucher. Ce qui est faux, ce soir il l’a fait au moins par deux fois. Je m’en souviens car je m’étais dit la deuxième fois qu’il avait sans doute oublié la première ou qu’il avait besoin d’un regain d’affection que je lui ai donné sans aucune restriction. Il refoulait pourtant largement du goulot, ce qui m’a laissé un souvenir impérissable quand j’ai remarqué après cette étreinte que j’avais une raviole qui commençait déjà à germer sur ma joue. Nounours au niveau bactéries, je le connais bien. C’est un nid à microbes…

Il se ronge les ongles jusqu’au sang et quand il ne peut pu rien faire au niveau des mains, il passe aux pieds. Je l’ai vu faire lors d’une discussion nocturne avec lui. Ce soir-là, il a même mis de côté quelques ongles de ses pieds dans une boite et quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu que c’était sa réserve au cas où…

Nounours, c’est un puriste, il a des ongles millésimés et que des premiers crus.

Il a 18 ans, c’est un solide gaillard au regard noir comme de l’ébène, on se connait depuis qu’il en a dix et ce soir, il a besoin de moi ou d’un peu de présence.

Il se fait tard par rapport à l’heure à laquelle je vais me lever, vers 5h30 mais tant pis. Nounours a besoin de parler.

On a construit ensemble une vraie et une ça- crée- relation.

J’en sais un tas sur lui et lui aussi en sait beaucoup sur moi. Pour savoir, il faut aussi se raconter sans se la raconter.

Il y a du trans-faire. Je le mets au boulot et lui aussi me met aussi au travail. En vérité, il m’épuise la plupart du temps mais j’aime bien quand cela vient de lui et il en abuse. A sa place, je ferais pareil. C’est bien de se rencontrer à travers l’autre ce voyage nous trans-porte.

Notre relation est belle mais tumultueuse. On s’aime et l’on se déteste dans tous les registres dont parle Mélanie Klein mais quand même en moins pire me semble-t-il.

Il y a des jours où il me passe par les trous de nez et qu’il m’insupporte et j’aurais envie de lui péter la gueule. J’en ai même rêvé, il était en sang et j’en parlais un jour, un peu gêné à un psychiatre rencontré au hasard d’un déplacement en institution qui m’a répondu d’une façon détachée que c’était mieux de le rêver que de le faire. Merci Areski, j’ai pris une bonne leçon, ce jour-là.

D’autres jours, c’est moi qui lui suis insupportable même quand j’ai l’impression d’être loyal avec lui en lui accordant telle ou telle chose que je n’aurais pas accordée à un autre que lui. Je le respecte en tant que sujet à part entière, je le respecte dans sa singularité. Il le comprend à sa façon et moi de la mienne. Chacun s’arrange de son monde comme il peut. On se bricole souvent chacun de notre côté. Le symbolique, le sien est le mien se bricole dans un ailleurs de nous. Quand on est ensemble dans le collectif, on se cherche sans se trouver, les autres nous mettent hors de nous.

Ce n’est en rien du fayotage ou du laisser-aller. En lui garantissant cette place de grand qui lui revient, je garantis sa place de sujet au sein du collectif. Il a sa place d’individu, différent et singulier au sein d’une institution qui prend en compte sa place inaliénable de sujet.

Il y a des jours où quoique je fasse, je suis hors-jeu en ne comprenant rien de rien à ce qu’il cherche à me dire. Ces jours-là, je n’insiste pas, je sais qu’il a envie de m’en foutre une ! Et cela me parait normal qu’il ne le fasse pas car c’est un bon prétexte à la parole même si elle est parfois trop forte et inaudible. Alors on s’engueule comme un vieux couple symbolique qui s’aime et qui n’est pas content du traitement que l’autre lui réserve.

Là, je peux lui dire beaucoup de choses. Quelques fois j’exagère pour voir et pour le pousser dans ses retranchements, je sur-joue. J’ai alors le mot juste limite et tranchant mais ses limites je les connais et j’en joue pour l’entrainer dans la réflexion ou l’incompréhension. C’est souvent quand on est borderline que vient se dire ce qui n’aurait jamais pu être dit. Avec tous les risques inhérents à ce bricolage entre deux êtres qui se rencontrent dans l’exil de la langue et dans un lieu de placement vécu la plupart du temps comme une injustice ou une double peine. Les parents font des conneries et l’on place l’enfant.  La parole n’est jamais sans risque et j’en prends le risque.

Ouvrir des espaces du dire, c’est forcément ouvrir à une incomplétude réciproque qui ne manquera pas de surgir. Il y aura forcément du manque à un endroit où un autre.

Ce qu’on se dit, cela nous regarde et cela regarde aussi le collectif car c’est une relation  professionnelle. C’est un des pourquoi de la supervision ou de l’analyse des pratiques. Dans nos métiers, il est important de se mettre à l’analyse de l’équipe et cela de n’importe qu’elle place qu’on puisse se situer. Il faut savoir analyser les manifestations transférentielles qui peuvent à n’importe quel moment nous empêcher de voir ou d’accepter ce qui est de l’ordre de l’évidence. L’amour rend aveugle et il est question d’amour aussi dans le transfert « le transfert, c’est de l’amour qui s’adresse au savoir » nous disait Lacan.

L’insertion du sujet dans le collectif demande de commencer par soigner le collectif. La parole doit pouvoir circuler et être analysée par un ou des tiers. Parler c’est risqué, écrire encore plus. C’est se mettre au risque de l’autre et de nous-même. Les mots ne nous appartiennent pas. Pas plus que la langue maternelle soit la propriété d’une mère ou de quiconque. Le langage ne retransmet qu’imparfaitement nos états d’esprits sous réserve même de savoir vraiment ce que l’on à dire et ce qui vient réellement de nous… On est déterminé à emprunter les mots d’un autre qui nous habite à notre insu. Le transfert à toujours ses passagers clandestins. Ce sont souvent les parents des jeunes que l’on transporte avec nous et qui viennent faire tiers dans une relation que l’on a pourtant décrétée comme duelle. L’absence physique ne crée pas une absence psychologique, les parents sont toujours là dans un coin de leurs têtes et l’on ne doit jamais nier ce paramètre dans nos hypothèses de compréhension d’une problématique.

Le transfert dans la relation éducative ce n’est pas un travail de tout repos, n’en déplaise à ceux qui ne savent pas et qui tentent de mettre en place une législation pour tout réguler même ce qui est de l’ordre de l’intime dans la relation. Une législation de plus ne pourra que nier la place du désir dans la fondation de l’être humain. On veut tout uniformiser en oubliant que l’égalité est une forme d’aliénation du sujet dans la négation de sa singularité.

Personne n’est pareil, personne ne ressemble, personne n’est l’égal de l’autre. On a tous des histoires, des origines, des éducations et des cultures différentes.

Quelle est donc cette société qui voudrait nier toute individualité en l’atomisant dans une somme d’inepties complotistes et identitaires que seul le cerveau humain est capable d’inventer ?

Tous nos ancêtres ne sont pas gaulois contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire ! On ne fabrique pas de l’humain à coup de 49-3 ou d’AK47.

Faire de l’éducateur, un agent d’une politique au service de la finance, c’est faisable et vous y arriverez sans problème mais il faudra alors vous prémunir contre ce qui de l’ordre de votre méconnaissance des sciences humaines et vous aurez alors à faire, tout seul avec ceux qui n’ont pas été, un tant soit peu éduqués.

Vous allez alors découvrir le réel sans éducateur… Et je vous souhaite le meilleur dans la société que vous êtes en train de nous construire au pays d’une administrature qui forclot le symbolique.

Eric Jacquot, le 10 avril 2017

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